- Très-Éminent Prince,
Je ne sais par quelle mésaventure le fait d’écrire
des épitres dédicatoires est tombé en désuétude, à cause,
soit de la vanité des auteurs, soit de l'humilité des
patrons. Mais la pratique m'en semble si belle et
bienséante que j'ai tenté un essai dans cet art modeste
et dépose avec formalités mon premier livre à vos
pieds. Je crains fortement, il me faut l'avouer, d’être
accusé de présomption en choisissant un nom aussi
sublime que le vôtre pour le placer en tête de cette
histoire ; mais, j’espère que pareille censure ne me sera
pas appliquée trop à la légère, car, si je suis coupable,
ce n'est que par le plus naturel des orgueils que mon
sort me permet de faire voguer sous votre protection le
petit navire de ma fantaisie. Mais, encore que je
sache m'acquitter de pareille charge, j’ai toujours envie
d’user de l’excuse, car avec quelle figure puis-je vous
offrir un livre traitant un sujet aussi vain et fantastique
que l’amour ? Je sais que beaucoup de gens considèrent
l’amour comme une chose honteuse et ridicule ; en effet, il
faut convenir que l’on a plus rougi pour l’amour que pour
n’importe quelle autre cause et que les amants sont un
éternel objet de risée. Cependant, comme l’on constatera