Page:Anthologie de la littérature ukrainienne jusqu'au milieu du XIXe siècle.djvu/107

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On ne va pas comme hier me jouer un mauvais tour !
Laissons-les appeler… ce n’est pas moi qui me laisserai tenter
À moins qu’ils ne m’apportent ici mon déjeuner.
Ne crains rien, tu les verras sauter autour de moi
Lorsque je me mettrai sous la dent soit la soupe, soit le rôti. »
« Ici ! Ici ! » crie à Riabko ce même Iavtouk,
« Ici ! ici ! » fait-il à perdre haleine,

« Allons, Riabko ! » — « Eh ! viens donc, tu ne voudrais pas que je me dérange,

Quand tu dois m’apporter ici mon manger. »
— « Arrive le plus vite possible, ne tarde pas ! »
« Pas du tout, je ne viendrai pas, Iavtouk ! »
— « Viens, le maître t’appelle. »
En disant ces mots il lui étreint le cou d’un nœud coulant ;
« Étrillez Riabko, » dit-il… et une dizaine d’individus
Lui donnent une centaine de coups en acompte,
« Fouettez-le, » crie le maître comme un possédé.
Par six fois on vous jette de l’eau sur Riabko
Et chaque fois on donne les étrivières à l’animal ruisselant.
Enfin on s’arrête.
Riabko voudrait demander pourquoi, mais sa langue
Est aussi fixée dans sa bouche que si on l’y avait attachée.
Il glousse comme un dindon sur son perchoir.
« Attends, lui dit Iavtouk, ne te dérange pas,
« Je te dirai le fin mot de tout. Vois-tu, Riabko, c’est pour t’apprendre
« À garder le bien de ton maître comme tes prunelles,
» À ne pas te coucher trop tôt et te vautrer dans la paille
« Au lieu de chasser les voleurs et d’aboyer contre les bêtes sauvages.
« Tu ne l’as pas fait, Riabko, alors pour le faire entrer dans la peau,
« Notre maître, par bonté d’âme,
« A ordonné de te donner quelques centaines de coups de bâton. »
— « Que le diable l’étrangle, ton maître et ton père.
Et ton oncle et ta tante
Pour sa bonté, interrompit Riabko avec humeur.
Que le diable miteux sorte des marais[1] pour les servir !
Il faut être idiot pour vouloir servir des imbéciles,
Et plus fou encore d’essayer de les contenter.

  1. Le peuple croyait que les marais servaient d’habitation aux esprits malins.
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