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Tarass Chevtchenko :

Le Caucase.

À Jacques de Balimène[1].
Qui donnera de l’eau à ma tête et des sources de larmes à mes yeux, pour pleurer nuit et jour sur ceux qui sont tombés.
Jérémie XI, 1.

Les monts s’entassent sur les monts, enveloppés de brume,
Monts semés de souffrances et ruisselants de sang !
C’est là que depuis le commencement du monde
Le vautour fait subir son supplice à Prométhée,
Chaque jour que Dieu a fait il lui évide les côtes
Et lui brise le cœur ;
Il le lui brise, mais ne peut boire jusqu’à la dernière goutte
Le sang vivificateur :
Ce cœur revient à la vie
Et sourit de nouveau.

Elle ne meurt pas notre âme,
Elle ne meurt pas la liberté ;
Le malin insatiable lui-même ne va pas labourer
Des champs dans le fond des mers,
Il ne peut clouer au rocher l’âme vivante.
Ni le verbe vivant.
Il ne peut rabaisser la gloire de Dieu,
Du Grand Dieu de la liberté.

Il ne nous convient pas de nous mesurer avec Toi, Seigneur,
Ni de juger Tes œuvres :
C’est seulement notre lot de pleurer et de pleurer encore,
De pétrir notre pain quotidien
Dans notre sueur de sang et nos larmes.
Les bourreaux nous harassent
Et la vérité, la nôtre, dort enivrée !
Combien durera son sommeil ?
Quand te reposeras-tu enfin,
Dieu infatigable,

  1. Issu d’une famille française complètement ukraïnisée, ce jeune ami de Chevtchenko venait de tomber dans un combat contre les Circassiens dans la Caucase. Chevtchenko saisit ici l’occasion d’exprimer sa sympathie ardente pour les peuples du Caucase luttant pour leur liberté contre l’impérialisme tzariste.
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