Page:Apollinaire - L’Enfer de la Bibliothèque nationale.djvu/290

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Citons enfin un ouvrage anglais[1] où, à propos de la célèbre courtisane Fanny Murray, la question de l’Essay on Woman est éclaircie :

« Au commencement de l’hiver de 1763, vingt ans après l’arrivée de Fanny à Londres, une crise politique déchaînée par l’insaisissable John Wilkes remit de nouveau le nom de Fanny sur toutes les lèvres.

« Elle résulta d’une manière inattendue d’une passe d’armes entre le « Squinting Jacky » et le gouvernement.

« Wilkes avait publié, le 23 avril de cette année-là, chez l’éditeur George Kearsley, de Lugdate Hill, le numéro 45 de son journal, The north Briton, où il attaquait le discours du roi en termes peu mesurés. Sans doute, les ministres furieux ne purent infliger à l’insolent le châtiment qu’ils méditaient, car le Chief Justice, Pratt, ordonna sa mise en liberté, eu égard à son privilège de membre du Parlement, après un emprisonnement d’une semaine à la Tour de Londres. Mais les poursuites provoquèrent deux incidents qui hâtèrent la revanche de ses ennemis.

« En effet, Wilkes rendu plus audacieux par sa victoire, avait installé une imprimerie privée à son domicile de Great George Street. D’autre part, la police avait découvert, dans les bureaux de son éditeur, certains documents d’où il résultait que la bête noire du gouvernement était en train de composer un « livre obscène. Certes, l’Essai sur la femme méritait cette épithète !

« C’était une paraphrase licencieuse de l’Essai sur l’homme de Pope, écrite plusieurs années auparavant, à l’époque où la belle courtisane de Bath était la reine du moment. Le poème commençait par l’invocation : « Éveille-toi, ma Fanny », et miss Murray en était l’héroïne.

« Les ministres tenaient enfin le moyen de châtier leur dangereux adversaire : Philipp Carteret Webb, procureur du Trésor, reçut l’ordre de mettre la main à tout prix sur un exemplaire de cet ouvrage impie.

« La mission était difficile, car tous les aides de Wilkes avaient une grande affection pour leur patron, mais l’infatigable Webb, qui ne faisait en somme que remplir les devoirs de sa charge,

  1. Horacé Bleackley. — Les grandes courtisanes anglaises du XVIIIe siècle. Traduit de l’anglais par Armand Fournier (Paris, Juven).