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LE POÈTE ASSASSINÉ

Mia. M. Cecchi, un Corse, était croupier au casino. Il avait été autrefois croupier à Baden-Baden et y avait épousé une Allemande. De cette union était née Mia, dont la carnation et les cheveux noirs attestaient surtout le sang corse. Elle était toujours vêtue de couleurs voyantes. Sa démarche était balancée, sa taille était cambrée ; elle avait moins de poitrine que de croupe, et un peu de strabisme donnait à ses yeux noirs un regard un peu égaré qui ne la rendait que plus désirable.

Son parler était lâche, mou, grasseyant, mais agréable cependant. C’est l’accent des Monégasques, dont Mia suivait la syntaxe. Après avoir quelquefois vu la jeune fille cueillir des roses, François des Ygrées commença à s’occuper d’elle et s’amusa de cette syntaxe dont il lui plut de rechercher quelques règles. Il en remarqua d’abord les italianismes et surtout celui qui consiste à conjuguer le verbe être avec lui-même pour auxiliaire, au lieu d’employer le verbe avoir. Ainsi, Mia disait : « Je suis étée », au lieu de : « J’ai été ». Il nota cette règle bizarre qui consiste à répéter le verbe de la proposition principale après cette proposition : « Je suis été aux Moulins, pendant que vous alliez à Menton, je suis été », ou bien : « Cette année je veux aller à Nice, à la foire aux cogourdes, je veux ».