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LE POÈTE ASSASSINÉ

nourrice véritable dont les mamelles insignes sont la lune et la colline. »

Croniamantal avait à cette époque treize ans et son esprit était fort éveillé. Il écoutait attentivement les paroles de M. Janssen.

— J’ai toujours vécu en elle, mais mal vécu en somme, car on ne doit pas vivre sans amour humain, sans compagne. N’oubliez pas que tout est preuve d’amour dans la nature. Moi-même hélas ! je suis maudit pour n’avoir pas suivi cette loi avant laquelle n’existe que sa nécessité qui est le destin.

— Comment, dit Croniamantal, vous mon maître, qui connaissez tant de sciences, n’avez-vous pas distingué cette loi puisque les rustres la connaissent et même les animaux, les végétaux, les matières inertes ?

— Heureux enfant qui peut à treize ans faire de telles questions ! dit M. Janssen. J’ai toujours connu cette loi, à laquelle nul être ne saurait être rebelle. Mais quelques hommes disgraciés ne doivent pas connaître l’amour. Cela arrive surtout parmi les poètes et les savants. Les âmes sont vagabondes, j’ai la conscience des vies précédentes de mon âme. Elle n’a jamais animé que des corps stériles de savants. Il n’y a rien qui doive vous étonner dans