Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
LE POÈTE ASSASSINÉ

soûlerie… Mais vous déchaînez les vents, vous faites un vacarme infernal pendant cette nuit angélique qui devrait être paisible. Vous ne l’ignorez pas, nous sommes dans la période des jours alcyoniens… et, en fait de calme, vous semblez vous crêper le chignon là-haut, belles dames… Pour amuser Salomon, sans doute… Herrgottsocra,… qu’entends-je ?… Lilith ! Naama ! Aguereth ! Mahalal… Ah ! Salomon, pour ton plaisir, elles vont tuer tous les poètes sur cette terre.

« Ah ! Salomon ! Salomon ! roi jovial dont les amuseuses sont ces quatre spectres nocturnes qui se dirigent de l’Orient vers le Nord, tu veux ma mort, car je suis aussi poète comme tous les prophètes juifs et prophète comme tous les poètes.

« Adieu la soûlerie de ce soir… Vieux Rhin, il faut que je te tourne le dos. Je m’en vais me préparer à mourir en dictant mes plus lyriques et dernières prophéties… »

Un fracas inouï, pareil à un coup de tonnerre éclata. Le vieux prophète serra les lèvres en hochant la tête et regarda par terre, puis il se courba et tendit l’oreille, assez près du sol. Lorsqu’il se redressa, il murmura :

« La Terre même ne veut plus du contact insupportable des poètes. »