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LE POÈTE ASSASSINÉ

tort aux poètes qui, à cause du grand nombre de prix dont ils bénéficiaient, étaient jalousés par toutes les classes de la population. La plupart des journaux concluaient en demandant que les gouvernements prissent des mesures pour qu’au moins les prix de poésie fussent supprimés.

Le soir, dans une autre édition de La Voix, le chimiste-agronome Horace Tograth, publiait un nouvel article qui, de même que le premier, télégraphié ou téléphoné partout, porta l’émotion à son comble dans la presse, parmi le public et chez les gouvernants. Le savant terminait ainsi :

« Monde, choisis entre ta vie et la poésie ; si l’on ne prend pas de mesures sérieuses contre elle, c’est fait de la civilisation. Tu n’hésiteras point. Dès demain commencera l’ère nouvelle. La poésie n’existera plus, on brisera les lyres trop lourdes pour les vieilles inspirations. On massacrera les poètes. »

Pendant la nuit la vie fut pareille dans toutes les villes du globe. L’article télégraphié partout avait été reproduit dans des éditions spéciales des journaux locaux qu’on s’arrachait. Le peuple était partout de l’avis de Tograth. Les tribuns descendirent dans la rue et se mêlant à la foule l’exci-