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LE ROI-LUNE

Ce repas d’aliments vivants m’avait paru si singulier que je fus un peu inquiet sur le sort qui m’attendait en compagnie de gens aussi avides de sang, mais ils se levèrent alors, et tandis qu’ils allumaient qui des cigarettes, qui des cigares, les valets débarrassèrent la table et la hissèrent en un clin d’œil jusqu’au plafond, ainsi que les sièges. La salle demeura vide de meubles, et les trompettes s’en étant allés furent remplacés par quatre violonistes aveugles qui jouaient des airs à la mode, ce qui engagea aussitôt ces jeunes gens à danser. Mais cet exercice ne dura pas plus d’un quart d’heure, après quoi ils s’en allèrent dans une autre salle.

La porte étant restée ouverte, je m’avançai à pas de loup : je les vis qui devisaient entre eux, tandis qu’autour d’eux de singuliers meubles semblaient danser de la façon la plus bizarre et sans musique. Ces meubles se haussaient petit à petit comme un poète de salon et se dandinaient en se haussant et grandissaient par saccades ; bientôt ils prirent l’apparence de meubles confortables, fauteuils et divans de cuir ; une table avait l’apparence d’un