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LE DÉPART DE L’OMBRE

« C’était il y a plus de dix ans, et tout cela n’est point passé, puisque je revois, quand je le veux, les choses et les gens de ce temps-là, Je sens leur consistance et j’entends les bruits et les voix. Ces souvenirs m’importunent, comme des mouches que l’on chasse et qui, aussitôt, se posent de nouveau sur la face ou sur les mains.

« Quand Louise Ancelette mourut, je ne l’aimais plus. Sa tendresse, depuis un an déjà, glissait sur moi comme l’eau de pluie sur l’imperméable. Mon désamour, que je ne voulais pas montrer, brillait soudain, en éclair labial, devant nos amis, à qui mes inquiétudes mentales donnaient, j’en étais sûr, un sujet de conversation que je devinais sans les entendre, comme, sans le voir, on devine le