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LE DÉPART DE L’OMBRE

nous errions dans le Marais, et je m’en souviens, je regardais nos ombres qui nous précédaient en se mêlant.

« Dans la rue des Francs-Bourgeois, nous nous arrêtâmes devant une boutique sur laquelle on pouvait lire : Marchandises provenant du mont-de-piété. À travers les vitres, on voyait, étalés, des objets disparates. Le monde entier et toutes les époques étaient les fournisseurs de cette boutique où bijoux, robes, tableaux, bronzes, bibelots, livres voisinaient comme les morts voisinent au cimetière. Je lisais mélancoliquement le lamentable précis d’histoire civile que formait toute cette brocante, quand Louise me demanda de lui acheter un bijou qui lui plaisait. Nous entrâmes. En ouvrant la porte vitrée je lus le nom qui s’y dessinait en lettres blanches : David Bakar, et je vis que, brusquement séparées, nos ombres n’entrèrent qu’à notre suite.

« David Bakar était assis à son comptoir. Il nous dit de prendre le bijou dans la vitrine et lorsque après avoir marchandé je voulus payer, il me dit qu’il n’avait pas de monnaie à me rendre et