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LA FIANCÉE POSTHUME

du côté de Suquet, et d’où l’on avait vue sur la mer, les îles de Lérins et les longues plages de sable sur lesquelles des troupes d’enfants nus et minces s’ébattent l’été, avant le crépuscule. La villa avait un jardin planté de mimosas, d’iris, de roses et de grands eucalyptus.

Le pensionnaire des Muscade passa tout l’hiver à se promener, à fumer et à lire. Il ne voyait pas les jolies filles dont la ville est pleine, il ne regardait pas les belles étrangères. Ses yeux ne gardaient que l’éblouissement du mica qui scintille partout, sur le sable marin, sur le sol des rues et sur les murs, et sa pensée, tandis qu’il marchait repoussé par le vent qui vient de la mer, était toute à Mme Muscade. Mais cet amour était doux, exquis, sans fièvre, et il n’osait en faire l’aveu.

Les eucalyptus tapissèrent le sol de petits cheveux odoriférants. Il y en avait tant, qu’éteignant l’éclat du mica, ils recouvraient entièrement les allées des jardins, et le mimosa enflammait toutes ses fleurs embaumées.

Un soir, dans la pénombre d’une chambre dont la fenêtre était ouverte, le jeune homme vit