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LA FIANCÉE POSTHUME

— Monsieur, j’ai quelque chose à vous dire.

— Dans la rue ? fit le jeune homme.

Et il regarda Mme Muscade qui, placide, ne bronchait pas.

— Oui, dans la rue, affirma M. Muscade.

Et il commença :

« Monsieur, soyez assez bon pour écouter mon histoire jusqu’au bout, notre histoire, puisque c’est aussi celle de Mme Muscade.

« J’ai cinquante-trois ans, monsieur, et Mme Muscade en a quarante. Il y a vingt-trois ans aujourd’hui que nous nous fiançâmes, ma femme et moi. Elle était la fille d’un maître de danse ; moi j’étais orphelin, mais mon état me fournissait l’aisance nécessaire à un ménage. Ce fut un mariage d’amour, monsieur.

« Vous la voyez maintenant jolie et encore désirable. Mais si vous l’aviez vue alors, monsieur, avec ses cheveux en torsades dont on ne trouverait la teinte dans aucun tableau ! Tout passe, monsieur, et ses cheveux d’à présent, je vous le jure, ne donnent aucune idée de ce qu’ils étaient lorsqu’elle avait dix-sept ans. Ces cheveux, c’était alors du miel. Ou bien encore on eût hésité à dire s’ils se rapportaient à la lune ou au soleil.