Page:Apoukhtine - La Vie ambiguë.djvu/141

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m’a expliqué la théorie d’un savant très connu, d’après laquelle tout dans la nature doit lutter pour vivre. Dans le monde, nous livrons aussi la même lutte cruelle, avec cette différence, qu’elle n’est point du tout essentielle à notre existence. Tout succès de l’une de nous, toute lueur de bonheur dans ses yeux bouleversent la quiétude des autres. Tant que le sort vous est favorable, tous sont pour vous, du moins en apparence ; mais si vous échouez, si le bonheur vous trahit, alors il ne faut plus attendre de pitié. Nos toilettes, et tous ces atours pour lesquels nous dépensons tant d’argent, quelle est leur raison d’être ? On dit qu’ils nous servent à capter les hommes ; mais c’est faux : la plupart des hommes ne remarquent pas notre accoutrement ; sans doute ils aiment nous voir élégantes, mais on peut s’habiller élégamment sans tant de frais. Non, ces attifements sont nos armes de lutte l’une contre l’autre : ce sont nos fusils et nos canons ; et notre triomphe, c’est de voir telles de nos amies rougir de dépit, telle autre pâlir de rage, etc. Tu sais, Kitie, quand je pense que j’ai vécu toute ma vie dans cet enfer et que je dois encore y retourner, un frisson me court entre les épaules ! Je disais à Hippolyte Nikolaievitch que je vou-