Page:Apoukhtine - La Vie ambiguë.djvu/199

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que le sentiment esthétique est fonction de la haute culture. Mais qu’est-ce que l’art ? La notion de l’art est aussi conditionnelle que celle du bien ou du mal : chaque siècle, chaque pays définit à sa façon le bien et le mal ; ce qui est vertu ici est crime là-bas. Et, en matière d’art, il faut tenir compte, non seulement du temps et du lieu, mais des goûts individuels. La France, qui se considère comme le pays le plus cultivé qui soit, a méconnu Shakespeare jusqu’au XIXe siècle. On citerait maints exemples semblables, et je ne crois pas qu’il y ait de mendiant ou de sauvage en qui ne brille parfois le sentiment de la beauté, mais leur conception de l’art est différente de la nôtre. Il est très probable que le moujik qui, par une chaude soirée de printemps, s’assied sur l’herbe près d’un gratteur de cithare, ne goûte pas un plaisir moins vif que le professeur du Conservatoire qui entend, dans une salle surchauffée, une fugue de Bach.

Oh ! seulement vivre, voir seulement des visages humains, entendre de nouveau le son de la voix humaine, entrer de nouveau en communion avec les hommes, avec tous les hommes, bons et mauvais ! Mais y a-t-il au monde des hommes absolument mauvais ? À tenir compte des conditions d’ignorance et de