Page:Apulée - Les Métamorphoses, Bastien, 1787, I.djvu/196

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dont elles se servent pour leurs enchantemens. Mais dites-moi, de grace, lui dis-je, que faut-il faire pour garder ainsi les morts ? Premièrement, me répondit-il, il faut veiller exactement toute la nuit, et avoir toujours les yeux attachés et fixés sur le corps mort, sans les en détourner d’un seul instant : car, pour peu que vous regardiez d’un autre côté, ces rusées et maudites femmes ayant pris la forme de quelque animal, se glissent avec tant d’adresse, qu’elles tromperoient aisément les yeux du Soleil même et de la Justice (48). Elles se changent en oiseaux, en ours, en chiens, en souris et même en mouches ; ensuite, à force de charmes, elles accablent de sommeil ceux qui gardent le mort, et les endorment profondément ; enfin il n’est pas possible d’exprimer tous les tours que ces détestables femmes imaginent pour venir à bout de leurs desseins. Cependant, pour un aussi dangereux emploi, on ne donne ordinairement que cinq ou six pièces d’or ; mais, ce qu’il y a de pis, et que j’oubliois bien à vous dire, c’est que, si le lendemain matin le gardien ne rend pas le corps tout entier, il faut qu’il se laisse couper autant de chair du visage qu’on en a ôté au corps mort.

Bien informé de tout cela, je prends courage, et m’approchant aussi-tôt du crieur : Cessez de crier, lui dis-je, voici un gardien tout prêt ; combien me donnera-t-on ? On vous donnera, dit-il, six pièces,