Page:Apulée - Les Métamorphoses, Bastien, 1787, I.djvu/84

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couvert d’un mauvais manteau tout déchiré ; il étoit pâle, maigre et défait, comme sont d’ordinaire ces pauvres malheureux rebuts de la fortune, qui demandent l’aumône au coin des rues. Quoiqu’il fût mon ami, et que je le reconnusse fort bien, cependant l’état misérable dans lequel je le voyois, fit que je ne m’approchai de lui qu’avec quelque incertitude. Hé, lui dis-je, mon cher Socrates, qu’est-ceci ? en quel état es-tu ? quelle honte ? ta famille affligée a déja pris le deuil de ta mort, le juge de ta province a nommé par une sentence des tuteurs à tes enfans, et ta femme, après tes funérailles, fort changée par son affliction, et ayant presque perdu les yeux à force de pleurer, est contrainte par ses parens à faire succéder à la tristesse de ta maison, les réjouissances d’une nouvelle nôce, pendant qu’à notre grande confusion tu parois ici plutôt comme un spectre, que comme un homme.

Aristomenes, me dit-il, tu ne connois donc pas les détours trompeurs, les vicissitudes et les étranges revers de la fortune. Après ces mots, il cacha la rougeur (22) de son visage avec son méchant haillon rapetassé, de manière que la moitié du corps lui demeura découverte : ne pouvant soutenir plus longtemps la vue d’un si triste spectacle, je lui tends la main, et tâche de le faire lever. Mais ayant toujours le visage couvert ; laisse, me dit-il, laisse jouir la fortune tout à son aise de son triomphe sur moi.