Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/116

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Lucile caissier ? L’affaire devenait sérieuse, et ce fut à mon tour de m’incliner. Nicolas Nivoulas n’était plus long, il était grand ; et subitement ses cheveux carotte prirent à mes yeux la couleur vénérable de l’or. Un capitaliste, un fondateur de journaux qui venait me demander ma collaboration, en voiture ! J’aurais donné quinze jours de ma vie, afin que quelqu’un pût me voir de Canteperdrix.

La Revue barbare naquit. Mais quel intérieur pour un intérieur de revue ! Bargiban faisait ou était censé faire les abonnements sur un piano ; Lucile dès le premier jour s’était installée à la caisse ; et un quadrille de poètes et de muses se trémoussait en permanence dans le cabinet de rédaction. Ce cabinet vaut qu’on le décrive : mille curiosités apportées par les rédacteurs riches, costumes, étoffes et colliers, émaux italiens, faïences persanes, poignards, narghilés et lanternes peintes s’y entassaient dans un désordre de haut goût, ne laissant pas voir du mur un morceau grand comme l’ongle. Le long de la corniche, Bargiban avait disposé son fameux musée d’écailles d’huître, et sous la rosace du plafond, à l’endroit où pend l’œuf de rock des contes arabes, se balançait un mignon squelette d’enfant vêtu d’un pourpoint écarlate et bleu — ton propre pourpoint, ô cousin Mitre ! recoupé pour la circonstance — qui laissait voir par ses crevés les côtes polies soigneusement et les vertèbres blanches comme neige.