Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/176

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vint au portrait que faisait mon père du vendeur de bêtes aveugles.

Et cela me donna envie de rire.

Ici, le lecteur va m’interrompre.

— « Comment, monsieur Jean-des-Figues, dira-t-il, voulez-vous qu’un vieil âne gris que nous avons tous vu, il y a quinze mois, arriver devant Paris et prendre la fuite, comment voulez-vous que cet âne ait fait seul un tel voyage à travers la France, et se trouve un beau jour, pour les besoins du roman, à Canteperdrix, dans l’écurie de votre père ? »

Je répondrai d’abord :

Que les taureaux de Camargue, ses compatriotes, sont bien autrement forts, eux qui, emmenés à trente, quarante, cinquante lieues pour les courses, flairent d’abord le vent, s’ils réussissent à s’échapper, puis piquent droit devant eux sans que jamais rien ne les arrête, vallons, précipices ni montagnes, droit au Rhône, au large Rhône qu’ils traversent à la nage, épuisés, suants, demi-morts, et qui vont jusqu’à ce qu’ils tombent ou qu’ils aient retrouvé le maigre pâturage natal.

Et, si cette explication ne suffit pas, je dirai encore que le Blanquet dont il s’agit, le Blanquet vendu au bohémien n’était peut-être pas le même que le Blanquet de mon enfance, celui qui m’avait planté là quinze mois auparavant, aux portes de Paris, avec mon chapeau pointu et mon sac de figues ; mais j’ajouterai que cela ne fait rien à