Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/18

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me lava dans l’eau vive ; ma mère, faute de langes, me roula tout nu dans son fichu rouge ; mon père, afin que j’eusse plus chaud, prit, pour m’emmaillotter, une paire de chausses terreuses qui séchaient pendues aux branches du figuier ; et comme le jour s’en allait avec le soleil, on mit sur le dos de notre âne Blanquet, par dessus le bât, les deux grands sacs de sparterie tressée ; ma mère s’assit dans l’un, mon père me posa dans l’autre en même temps qu’un panier de figues nouvelles, et c’est ainsi que je fis mon entrée à Canteperdrix, par le portail Saint-Jaume, au milieu des félicitations et des rires, accompagné de tous nos voisins que le soir chassait des champs comme nous, et perdu jusqu’au cou dans les larges feuilles fraîches dont on avait eu soin de recouvrir le panier. Le lit devait être doux, mais les figues furent un peu foulées. De ce jour, le surnom de Jean-des-Figues me resta, et jamais les gens de ma ville, tous dotés de surnoms comme moi, les Corbeau-blanc, les Saigne-flacon, les Mange-loup, les Platon, les Cicéron, les Loutres, les Martres et les Hirondelles ne m’ont appelé autrement.

Vous voyez que mon destin était des plus modestes et que je ne descendais, hélas ! ni d’un notaire ni d’un conservateur des hypothèques, les deux grandes dignités de chez nous. Mais, quoique fils de paysans, et enveloppé pour premiers langes dans de vieilles chausses trouées et souillées de