Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peuple qui souffre est sans pitié ! les charmilles du jardin, le temple de l’Amour, le bosquet de roses ; on jeta par les fenêtres les meubles de Boule et les dessus de porte de Boucher ; on pénétra, ô sacrilège ! dans le boudoir bleu clair de la marquise ; on brisa les cristaux de Bohême et les porcelaines de Saxe ; le verger fut détruit, la garenne bouleversée, des nuages de poudre à la maréchale s’envolèrent dispersés aux quatre vents du ciel, et le soir, sur la place du village, tandis que Palestine brûlait, trois cents vénérables bouteilles de vin des Mées, trouvées dans les caves, arrosaient à plein goulot l’arbre de la liberté !

Personne n’inquiéta le marquis. À part son marquisat, c’était le meilleur des hommes. Mais sa fille, qui avait seize ans à peine, mourut de chagrin et de saisissement en voyant détruites sous ses yeux tant de belles choses qu’elle aimait ; et depuis, disent les gens, elle revenait la nuit, en robe de marquise, traînant nonchalamment ses petites mules de soie sur les terrasses envahies de lavandes, et s’accoudant comme jadis, pour voir lever la lune, sur les grands balustres moussus qui s’en vont pierre à pierre. Dans nos heureux pays du Midi, où jamais ne régna une bien dure féodalité, le peuple ne se souvient guère de plus loin que Louis XV ; il confond volontiers madame de Ganges et la reine Jeanne ; les bergers de ses noëls portent galamment le tricorne enrubanné, et