Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/51

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oiseau du paradis, autant avouer tout de suite que ta Reine rentre dans la catégorie de ces héroïnes sans réalité, fabriquées d’un flocon de brouillard et d’une goutte de rosée par quelques cerveaux creux fort ignorants des lois de la physiologie.

— Mais cependant… — Il n’y a pas de cependant qui tienne ; n’as-tu donc jamais vu la chambre de dissection du véritable romancier moderne ? Et son tablier sanglant, et ses manches relevées, et ses scalpels luisants, et ses trousses ouvertes, et les petits flacons étiquetés, pleins de fiel, de sang et de bile, qu’il regarde curieusement à travers le soleil ?

Nous ne sommes plus au temps, Dieu merci, où, pour créer des figures immortelles, un peu d’esprit et de fantaisie suffisaient ; où l’homme de qualité, qui écrivait ses mémoires, donnait sa maîtresse telle quelle, se bornant, pour tout renseignement physiologique, à dire la nuance de ses yeux, et si elle avait les cheveux blonds ou bruns. On tolérait cela autrefois ; aujourd’hui la science a marché, nous avons la muse médecine, et si l’abbé Prévost revenait au monde, il faudrait bien qu’il établît que le tempérament du chevalier était lymphatico-bilieux, et qu’il étudiât les caprices de Manon dans leurs rapports avec la lune. »

Le cas était grave. Comment accrocher, dans mon œuvre, le fin profil de mademoiselle Reine entre les deux pleines lunes flamandes de monsieur