Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/54

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Après seize ans, leur admiration restait chaude comme au premier jour ; et c’est avec la naïveté d’une passion qui s’ignore, que M. Cabridens parlait de l’incomparable héroïne de ce drame romantique, Marion, Tisbé ou Diane de Poitiers ; tandis que madame Cabridens, rouge à ce lointain souvenir, et penchée sur son ouvrage en tapisserie, célébrait la haute prestance, l’air magnifique et la belle grâce du héros.

J’ai vu, suspendus au mur de la chambre bleue, les portraits de l’acteur et de l’actrice en costume de théâtre, et à mesure que toutes ces vagues impressions reviennent plus claires à mon esprit, je m’étonne de ne pas avoir remarqué plus tôt, entre Reine et ces deux portraits, je ne sais quel air de ressemblance. Ô puissance du beau ! il a donc suffi pour créer la plus idéale des créatures, d’une goutte de poésie tombée un soir dans deux cœurs bourgeois !

Monsieur et madame Cabridens m’en voudront peut-être d’avoir révélé au monde la mutuelle infidélité, infidélité tout idéale heureusement, dont ils furent tous deux, au même moment, à la fois coupables et victimes ; mais voilà ce que c’est de trop regarder les princesses de théâtre, monsieur ! et de considérer avec tant d’attention les beaux jeunes gens en justaucorps, madame ! D’amoureuses et condamnables visions durent évidemment, cette nuit-là, voltiger autour des chastes rideaux de l’alcôve conjugale, et pour moi, ô ma Reine