Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amoureux, je me sentais devenir poète, et vaguement en mon cerveau images et rimes secouaient leurs ailes, comme font les abeilles aux premiers beaux jours, quand, n’osant pas encore se hasarder au dehors, on les entend bourdonner dans la ruche.

J’avais pourtant quelques remords : partir pour Paris me causait trop de joie. Je n’aimais donc pas Reine. Un ingénieux raisonnement vint me tirer d’embarras.

— Après tout, me dis-je, Jean-des-Figues, ce n’est pas Reine que tu fuis, c’est Roset et son dangereux voisinage. Et, m’extasiant une fois de plus sur cette destinée bizarre qui m’ordonnait de m’éloigner de Reine si je voulais l’aimer comme il convient, je fis part à mon père un beau matin de mes projets de gloire et de voyage.

Mon père ne s’étonna point. Il n’avait pas des idées bien nettes sur Paris ni sur la poésie. Être poète, c’était pour lui comme si je fusse allé à Aix-en-Provence étudier le tambourin. Pouvait-on espérer mieux d’un écervelé ?

Il fit plus, il vendit un cordon de vigne pour me garnir le gousset. Mais quand je parlai de chemin de fer et de diligences :

— Garde ton argent, imbécile, tu n’as pas besoin de chemin de fer. L’oncle Vincent est allé plus loin avec un âne et un sac de figues. Fais comme lui, je te donne Blanquet, Blanquet, tout vieux qu’il est, te porterait au bout du monde.