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Page:Arène - La gueuse parfumée - récits provençaux, 1907.djvu/93

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JEAN-DES-FIGUES.


compagnie : — Ce doit en être un, me disais-je, et j’avais envie de me présenter

Que de négociants fortunés je pris ainsi pour des poëtes !

Je me promènerais encore, si, certain soir où j’errais mélancolique devant les théâtres illuminés, un monsieur plein d’obligeance ne m’eût offert de me vendre un fauteuil d’orchestre. J’acceptai, non sans faire violence à ma timidité ; il m’en coûta un louis d’or de ma sacoche, mais je ne le regrettai point. Jugez donc : c’était justement une première.

Jamais de la vie je n’avais mis le pied dans un théâtre. Aussi, de voir, cette salle éblouissante, le lustre qui étincelait, le cristal des girandoles, le velours rouge et l’or des loges ; de coudoyer ces hommes en habit élégant, sur le front de qui, toujours à mes préoccupations, je cherchais à deviner le génie ; de respirer le parfum délicieux et nouveau qui descendait des loges et du balcon, comme d’un vrai bouquet de femmes ; d’éprouver tout cela, et de me sentir, moi Jean-des-Figues, au beau milieu, une émotion subite me vint.

La musique commence, le rideau se lève, on applaudit le décor, les comédiens paraissent avec les comédiennes. Mais Jean-des-Figues n’entend rien, ne regarde rien. Grisé de sons, de couleurs et de parfums, Jean-des-Figues s’est dédoublé, et, des hauteurs où plane son rêve, il s’aperçoit lui-même distinctement,