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le peintre et la pie.

peut-être un bienfait pour elle. » Et, spiritualiste convaincu, trop logique, puisqu’il croyait à son âme à lui, pour ne pas croire à l’âme des bêtes, il se demandait s’il n’existerait pas par delà le soleil, parmi la poussière d’or des voies lactées, une étoile, un paradis des pies, où dans de vastes plaines bordées de hauts peupliers et traversées de claires rivières roulant des cailloux polis, des grains de mica et des pépites, ces oiseaux, après leur mort, sans souci de la faim ni de la bise, pourraient, sur le sable éternellement frais, sur l’herbe éternellement verte, satisfaire leur double passion pour la danse et les objets brillants.

D’autres fois, moins poétique, il se demandait avec la logique coupante d’un procureur général si, ayant jadis dans le plein exercice de sa liberté, arraché l’oiseau à une mort cruelle, il n’avait pas le droit strict de le faire périr humainement.

Un jour, sur un cornet de tabac, il vit un arrêté préfectoral de Seine-et-Oise qui proscrivait la pie comme animal nuisible, grand destructeur de nids et grand mangeur d’oiseaux.

Ce cornet de papier faillit le décider.

Mais aussitôt, sa bonté native se révoltant, M. Senez rougissait de ces sophismes et détestait le monstre qu’il sentait éclore en lui-même.

M. Senez avait changé ses habitudes. Lui, l’homme rangé qui se couchait à huit heures été comme hiver, déclarant que, si les poètes peuvent travailler la nuit, les peintres ont besoin de mettre