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la vraie tentation du grand saint antoine.

ciel rougi comme le reflet d’un immense fourneau. Alors je me rappelai les bons réveillons de ma gourmande jeunesse, l’aïeul présidant la table et arrosant de vin nouveau la grande bûche calendale ; je vis les plats fumants, la nappe blanche, la flamme dansant dans les faïences et les pots d’étain du dressoir, et de me trouver ainsi seul avec Barrabas, quand tout le monde était en fête, devant un maigre feu, avec une maigre racine et une cruche d’eau en train de geler, soudain une tristesse me prit, je m’écriai : « Quel réveillon ! » et je ne pus retenir mes larmes.

C’était l’heure qu’attendait le tentateur.

Depuis quelques instants, un frémissement d’ailes invisibles montait et grandissait dans le silence de la nuit. Un éclat de rire traversa l’air, et de petits coups, frappés discrètement, sonnèrent sur mon volet et sur ma porte. — « Les diables ! cache-toi, Barrabas ! » m’écriai-je. Et Barrabas, qui avait de bonnes raisons pour ne point aimer la diablerie, se réfugia derrière le pétrin.

Les tuiles de mon toit tintaient comme sous la grêle ; de nouveau, tout autour de ma pauvre cabane, la bande infernale se déchaînait.

Mais voici bien le plus étrange. Au lieu des bruits terrifiants et discords par lesquels mes ennemis s’annonçaient d’ordinaire : cris d’oiseau de nuit, bêlements de boucs, ossements entrechoqués et chaînes de fer secouées, c’étaient cette fois des