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SUR LE JEU ET LES JOUEURS.

jetée au feu réchauffa bientôt le berger, qui se mit à faire un récit lamentable de ce qu’il avait souffert, s’inquiétant de ses brebis dispersées et de l’inquiétude où devait être sa maman. L’ermite lui donna un morceau de pain, avec lequel il se nourrissait quand l’heure de rompre le jeûne était venue. Il lui fit boire un coup d’assez bon vin, et il ne se défiait de rien. Mais peu à peu une métamorphose s’opérait chez le diable, qui avait pris une figure de garçon parce que, s’il avait eu les traits d’une femme, la porte ne lui eût pas été ouverte. Des cheveux soyeux et dorés sortaient de dessous son bonnet ; les roses et les lys se montraient sur ses joues ; ses lèvres étaient vermeilles comme une grenade ; ses jambes nues étaient d’une finesse extrême, et ses vêtements, mal attachés par devant, laissaient apercevoir deux globes d’albâtre qu’il était bien dangereux de regarder. Les yeux de l’ermite ne s’arrêtaient que trop complaisamment sur ces objets, dont ils eussent dû se détourner au plus vite, et le malin esprit ajoutait au danger par les mouvements gracieux qu’il exécutait. Que dirons-nous enfin ? Le pénitent tomba en tentation. Aussitôt que le diable fut arrivé à ses fins, il fit un grand saut et s’écria avec un éclat de rire : « Apprends, bon père, que c’est le diable en personne que tu as reçu chez toi. Quand on nous ouvre la porte, nous sommes bien vite sûrs de notre fait, et, si nous prenons la figure d’une femme, infailliblement on tombera dans nos filets. Que ceci te serve de leçon à toi et à tes pareils. »