Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 1.djvu/555

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avait le droit de faire des objections. La critique pouvait s’exercer également sur le fond et sur la forme. L’amour-propre du maître courait donc autant de risques que celui de l’élève, et la réputation d’un grand établissement se trouvait, de cette manière, à la merci d’un jeune étourdi. De là l’habitude de lancer les concurrents dans l’arène, escortés d’un mentor qui venait au secours de leur mémoire infidèle, qui, par un mot dit à propos, les ramenait dans la bonne voie dès qu’ils commençaient à s’en écarter, qui souvent même était entraîné à combattre pour son propre compte. Suivant ces us et coutumes, le corps enseignant du séminaire d’Autun se dirigeait déjà vers la salle des exercices ou un public nombreux était assemblé, lorsque le jeune Carnot signifia qu’il entendait monter seul en chaire ; qu’il ne voulait pas être accompagné d’un souffleur ; qu’il ne tenait aucunement au rôle qu’on lui avait assigné, et qu’il le jouerait seul ou ne le jouerait pas du tout. Cette résolution fut tour à tour combattue par la prière et par la menace, mais inutilement : il fallut bon gré, mal gré, se soumettre au caprice, sans antécédents, de l’écolier. Au reste, le plus éclatant succès le justifia bientôt, même aux yeux des professeurs irrités. Un incident assez étrange devait signaler la séance ; une dame, la femme d’un docteur en médecine, devint l’adversaire le plus redoutable du jeune rhétoricien : elle argumenta contre lui, en latin, avec une puissance de dialectique, avec une facilité, une grâce, une élégance d’expressions dont Carnot et l’auditoire furent d’autant plus étonnés, qu’aucune indiscrétion, jusque-là, n’avait même fait soupçonner que madame l’Homme eût porté