Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 1.djvu/96

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qu’on allait nous fusiller. Ce qui aurait pu me fortifier dans cette idée, c’était l’obstination que le capitaine Krog et deux autres individus de petite taille mettaient à se cacher derrière moi. Un maniement d’armes nous fit penser que nous n’avions plus que quelques secondes à vivre.

En analysant les sensations que j’éprouvai dans cette circonstance solennelle, je suis arrivé à me persuader qu’un homme que l’on conduit à la mort n’est pas aussi malheureux que le public se l’imagine. Cinquante idées se présentaient presque simultanément à mon esprit, et je n’en creusais aucune ; je me rappelle seulement les deux suivantes, qui sont restées gravées dans mon souvenir : en tournant la tête vers ma droite, j’apercevais le drapeau national flottant sur les bastions de Figueras, et je me disais : « Si je me déplaçais de quelques centaines de mètres, je serais entouré de camarades, d’amis, de concitoyens, qui me serreraient affectueusement les mains ; ici, sans qu’on puisse m’imputer aucun crime, je vais, à vingt-deux ans, recevoir la mort. Mais voici ce qui m’émut le plus profondément : en regardant les Pyrénées, j’en voyais distinctement les pics, et je réfléchis que ma mère, de l’autre côté de la chaîne, pouvait en ce moment suprême les regarder paisiblement.


XXVIII.


Les autorités espagnoles, reconnaissant que pour racheter ma vie je ne me déclarais pas le propriétaire du bâtiment, nous firent conduire, sans autre molestation, à la forteresse de Rosas. Ayant à défiler devant presque