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Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/234

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Voilà ce que Condorcet écrivait dans la matinée du 5 avril 1794. À dix heures, il quitta sa cellule, en veste et en gros bonnet de laine, son déguisement habituel, descendit dans une petite pièce du rez-de-chaussée, et lia conversation avec un autre locataire[1] de la maison de madame Vernet. Notre confrère avait vainement choisi un sujet dépourvu d’intérêt, et qui semblait devoir donner lieu à de très-longs développements ; vainement il mêlait à son discours force termes latins ; madame Vernet restait là de pied ferme. Le proscrit désespérait déjà de pouvoir se dérober à la surveillance dont il était l’objet, lorsque, par hasard ou par calcul, il se montra contrarié d’avoir oublié sa tabatière. Madame Vernet, toujours bonne, toujours empressée, se leva et monta l’escalier pour aller la chercher. Condorcet saisit ce moment et s’élança dans la rue. Les cris déchirants de la portière avertirent aussitôt madame Vernet qu’elle venait de perdre le fruit de neuf mois d’un dévouement sans exemple. La pauvre femme tomba évanouie.

Tout entier au besoin d’éviter une poursuite qui aurait perdu sa bienfaitrice, Condorcet parcourut la rue Servandoni avec beaucoup de vitesse. En s’arrêtant pour prendre haleine, au détour de la rue de Vaugirard, il vit à ses côtés M. Sarret, le cousin de madame Vernet. Le proscrit avait à peine eu le temps de laisser échapper quelques paroles où l’admiration se mêlait à la sensibilité, à la

  1. Ce locataire, nommé Sarret, est auteur de plusieurs ouvrages élémentaires. Il avait épousé madame Vernet, mais le mariage était resté secret, la femme n’ayant pas voulu renoncer à son premier nom.