Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/38

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de deux joueurs sont inégales, les mises doivent l’être aussi ; que si les chances de l’un d’eux sont, par exemple, décuples de celles de son adversaire, les mises respectives, les sommes aventurées sur chaque coup, doivent être de même dans le rapport de 10 à 1 ; que cette exacte proportionnalité des mises aux chances est la règle nécessaire, caractéristique, mais suffisante de tout jeu loyal. Cependant il est des cas où, malgré l’observation de ces conditions mathématiques, un homme raisonnable ne consentirait pas à jouer. Qui voudrait, je suppose, eût-il un million de chances contre une en sa faveur, risquer un million, dans l’espérance de gagner un franc ?

Pour expliquer cette anomalie, ce désaccord entre les résultats du calcul et les inspirations du sens commun, Buffon trouva qu’il fallait ajouter une considération nouvelle aux principes qui jusqu’à lui avaient paru suffire : il parla d’appréciations morales ; il fit la remarque que nous ne pouvons pas, ne fût-ce que par instinct, nous empêcher de tenir compte des effets qu’auront sur notre position sociale, sur nos habitudes, la perte ou le bénéfice attachés aux jeux qu’on nous propose ; il aperçut que l’avantage dont un bien peut être l’origine, ne saurait se mesurer sur la valeur absolue de ce bien et abstraction faite de la fortune à laquelle il va s’ajouter ; le rapport géométrique de l’accroissement de fortune à la fortune primitive, lui sembla devoir conduire à des appréciations beaucoup plus en harmonie avec notre manière d’être. En adoptant cette règle, on comprend à merveille, par exemple, comment avec un million de chances favorables contre une seule chance contraire, tout homme doué de