Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/396

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mesquine, sinon pour les prérogatives de sa personne, du moins pour celles de sa place.

Je crois encore qu’on pourrait reprocher à Bailly d’avoir manqué quelquefois de prévoyance.

Homme de sentiment et d’imagination, le savant concentrait trop exclusivement ses pensées sur les difficultés du moment. Il se persuadait, avec un excès de bonhomie, qu’aucune nouvelle tempête ne succéderait à celle dont on venait de triompher. Après chaque succès, petit ou grand, contre les intrigues de cour, les préjugés, l’anarchie, président de l’Assemblée nationale ou maire de Paris, notre confrère croyait la patrie sauvée. Alors sa joie débordait ; il aurait voulu la répandre sur le monde entier. C’est ainsi que le jour de la réunion définitive de la noblesse aux deux autres ordres, le 27 juin 1789, notre confrère se rendant de Versailles à Chaillot, après la clôture la séance, se tenait la moitié du corps en dehors de la portière de sa voiture, et annonçait à grands cris l’heureuse nouvelle à tous ceux qu’il rencontrait sur sa route. À Sèvres, c’est à lui-même que j’emprunte l’anecdote, il ne vit pas sans une pénible surprise que sa communication était reçue avec la plus entière indifférence par un groupe de soldats réunis devant la porte de la caserne : Bailly rit beaucoup en apprenant ensuite que ces soldats étaient Suisses, et n’entendaient pas un seul mot de français.

Heureux les acteurs d’une grande révolution chez lesquels on ne trouve quelque chose à reprendre qu’après être descendu à une analyse aussi minutieuse de leur conduite publique et privée.