Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 3.djvu/581

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de ces hommes privilégiés dont la postérité garde le souvenir, qu’aucune contrée du monde.

Je serais beaucoup plus réservé s’il fallait me prononcer sur des supériorités personnelles ; la Suède citerait alors le chimiste dont elle est si fière : l’Allemagne son illustre voyageur, ses profonds géomètres, ses infatigables astronomes ; l’Angleterre, un botaniste célèbre, d’habiles physiciens, d’éminents géologues. Un homme, un homme seul avait trouvé le secret de triompher des prétentions, ordinairement si exigeantes, de ceux qui parcouraient la même carrière que lui. Il avait vaincu jusqu’aux préjugés nationaux. De Dublin à Calcutta, d’Upsal au port Jackson Cuvier était unanimement proclamé le plus grand naturaliste de notre siècle, Cuvier était au milieu de nous l’image vivante, incontestable et incontestée, de la prééminence scientifique de la France : sa mort nous rapetisse tous.

Il y a toujours dans les découvertes scientifiques, même dans celles des plus grands génies, la part de quelque circonstance heureuse. C’était là, Messieurs, ce qu’éprouvait Lagrange, lorsqu’il comparait les efforts inouïs dont ses prodigieuses conceptions mathématiques avaient été le fruit, aux efforts infiniment moindres que des découvertes, peut-être plus importantes, semblaient avoir exigés ; c’était là ce qu’il voulait dire, quand il s’écriait avec un vif sentiment d’amertume : « Combien Newton a été heureux que de son temps le système du monde restât encore à découvrir ! » Plus d’un naturaliste, dans la suite des siècles, répétera, sans doute, en songeant à Cuvier, l’exclamation de l’immortel géomètre.