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XIII

BOURBON

Saint-Denis. — Baleine et Espadon. — Saint-Paul. — Volcans. — Naké et Tahéha.

Il y a trente lieues de l’Île-de-France à Bourbon ; il y en a au moins cent cinquante de Bourbon à l’Île-de-France, car les vents alisés qui soufflent constamment de la première de ces deux îles vers la seconde sont contraires pour le retour, et forcent souvent les navires à pousser des bordées jusqu’en vue de Madagascar. Ainsi le veut le caprice des vents et des flots.

D’ici commenceront, à proprement parler, nos curieuses courses d’explorateurs, et dès que nous aurons salué le pavillon qui flotte là-bas sur le palais du gouvernement, peut-être serons-nous bien des années sans entendre parler, non-seulement de la France, mais encore de l’Europe. Le courage a beau se retremper aux périls qui nous attendent et à ceux que nous avons déjà bravés, le cœur joue aussi gros jeu dans cette vie aventureuse, et il ne reste point muet en présence d’un passé qui a toutes ses affections. Le cœur est, je le sais, le citoyen de l’univers ; mais sa patrie de prédilection est celle où reposent ses souvenirs de bonheur, auxquels on se rattache d’autant plus qu’on est plus près de les perdre.

Nous voici en rade, j’allais dire en pleine mer ; de légères pirogues entourent le navire ; il n’y à pas de quarantaine à subir : je vais à terre.

C’est une ville singulière que Saint-Denis : grande, immense par son étendue, mais bien petite si l’on ne compte que les maisons. Un quartier seul est assez étroitement resserré pour former de véritables rues, tandis que dans les autres on peut aller, en chassant, faire une visite à son voisin. Au surplus, cette éternelle verdure, si riche, si variée, planant au-dessus des habitations, contraste d’une façon tout à fait pittoresque