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V
NOTES SCIENTIFIQUES.

Ce n’est qu’en Norwège qu'on peut immédiatement observer cette limite ; car, quoique les montagnes de la Suède soient nombreuses et assez élevées, elles n’atteignent presque nulle part une hauteur assez considérable pour conserver de la neige sur leurs cimes. Voilà pourquoi les neiges perpétuelles sont aussi inconnues en Suède qu’elles le sont dans la plus grande partie de la France ou de l’Allemagne.

Mais la Norwége est partagée, dans toute sa longueur, par une chaîne de montagnes qui ne le cède en hauteur qu’à bien peu de montagnes en Europe, et qui les surpasse toutes par son étendue et par sa masse ; car, non-seulement elle occupe presque sans interruption 13 degrés de latitude, depuis le 58e jusque près du 71e, mais elle conserve encore, dans la plus grande partie de son étendue, une largeur que n’ont pas les autres chaînes de l’Europe. On lui donne le nom de Lang-Field dans sa partie méridionale, celui de Dowre-Field entre le 62e et le 63e degré de latitude, celui de Kioel enfin dans son prolongement, qui forme au nord la séparation de la Laponie suédoise et de la Norvège.

Quand on traverse les Alpes ou les Pyrénées, à peine arrivé à la plus grande hauteur des cols ou passages, on commence tout de suite à descendre. On n’y connaît pas de col qui ait au delà d’une lieue de largeur. Dans le Lang-Field, au contraire, quand on a remonté une vallée jusqu’à son origine, on voit s’étendre un plateau dont l’élévation est presque partout de 1,400 mètres au-dessus du niveau de la mer, et la largeur de huit, de dix et même de douze lieues.

Il est impossible de traverser cette chaîne en un jour ; les habitants de la côte de l’ouest, qui parcourent ces déserts pour aller dans les provinces de l’est, sont obligés d’y passer la nuit, au risque de s’égarer au milieu des brouillards continuels, et de périr de froid au milieu des tempêtes et des tourbillons de neige.

L’on a été obligé de s’élever jusqu’à 61° de latitude avant d’avoir pu trouver un endroit convenable pour y faire passer la grande route de communication entre les villes de Christiania et de Bergen. Ce n’est qu’à cet endroit que les vallées qui descendent des deux cotés opposés se rapprochent et s’enfoncent assez avant dans le plateau de la chaîne pour ne lui laisser qu’une largeur d’environ quatre lieues ; cette partie de la chaîne porte le nom de Fille-Field. Le partage des eaux entre les deux mers n’y est élevé que de 937 mètres.

Une neige perpétuelle ne couvre pas encore ce passage ; mais la végétation s’y présente sous le même aspect qu’au haut du Saint-Gothard. Les sapins et les pins n’y croissent plus. Des bouleaux rabougris, ou des saules de montagnes sont les seuls arbustes que l’on y rencontre ; et déjà les plantes alpines commencent à s’y disputer le peu de place que la couche épaisse des mousses leur cède.

Ce passage n’est effectivement qu’une vallée dans la chaîne. Des montagnes s’élèvent des deux côtés à de grandes hauteurs, à peu près comme les pics de Fioudo et deProza sur le Saint Gothard, ou comme la haute cime du Mont Velan sur le Saint-Bernard. C’est sur leurs cimes que la neige ne disparaît que peu de jours dans l’année Elle se conserve même sans jamais laisser apercevoir le roc qu’elle recouvre, dans les endroits où les montagnes se touchent et recommencent à former un plateau d’une certaine largeur.

J’ai porté le baromètre sur le Suletind, la plus remarquable et la plus haute de ces cimes ; il s’y est soutenu, le 16 août 1806, à midi, à 22 pouces 6,9 lignes, thermomètre 7°,8 cent. Il était dans ce temps, à Christiania, 30 pieds au-dessus de la mer, à 27 pouces 10 lignes, thermomètre 20°, ce qui donne 1,794 mètres pour la hauteur de la montagne au-dessus de la mer, ou 806 mètres au-dessus du plateau de Fille-Field.

On peut donc regarder celte élévation comme ayant déjà dépassé, mais de très-peu, la limite des neiges. La couche de neige perpétuelle ne descend nulle part au-dessous de 1,684 à 1,704 mètres ; ce qui serait par conséquent à peu près leur limite dans ces climats, et sous 61° de latitude, pas tout à fait à 900 toises.

Mais ou ne trouve pas encore des glaciers sur ces monts ; car, pour qu’ils puissent