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Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.2.djvu/203

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voyage autour du monde.

Lahéna ; ceux d’Anourourou l’écouteraient avec délices ; le chant, la danse, sont inconnus au premier village ; au second, la parole est une musique, la danse une marche. Il y a deux mille lieues entre les deux îles ; il y en a plus encore entre Mowhée et Owhyée ; mais la cause de ces différences, qui en indiquera l’origine ? Depuis quand existent donc ces illogiques contrastes, faisant mentir toutes les hypothèses, imposant silence à toutes les théories ? On dirait vraiment que si, par exception, la principale île des Sandwich a nourri dans son sein quelques hommes au caractère joyeux, à l’humeur pacifique, quelques femmes âpres aux plaisirs bruyants ou au repos du corps et de l’âme, tous se sont élancés un beau jour au milieu des flots, les uns pour habiter Lahéna la suave, la douce, la solitaire ; les autres pour peupler Anourourou, la vive, l’enjouée, l’heureuse aussi comme sa voisine, mais avec une couleur plus tranchée.

Au surplus, si l’aspect d’Owhyée vous étonne d’abord et vous glace d’épouvante, si la vue de Mowhée vous afflige au premier coup d’œil et vous réjouit plus tard en face de Lahéna, la situation riante d’Anourourou, encadrée dans de belles collines médiocrement élevées et laissant aux regards de petites échappées ouvertes à un lointain vaporeux, vous force à vous mettre de moitié dans les plaisirs de cette île fortunée, où naguère encore eut lieu, comme à Mowhée, une sanglante bataille, de laquelle sortit vainqueur le grand Tamahamah.

Anourourou est plus qu’un village, plus qu’une ville; c’est une capitale. Il y a là des huttes, des cabanes, des hangars, des temples, trois ou quatre maisons européennes, deux comptoirs américains, une plaine unie, émaillée, deux larges et profondes rivières, l’une au nord, l’autre au sud; un volcan éteint, jaune et rapide comme une meule de blé, un ciel d’azur, une rade large, sûre, spacieuse, et une barre avec une belle ouverture par laquelle les navires menacés peuvent se mettre à couvert de toute bourrasque, de toute tempête, dans un port tranquille et abrité. Le mouillage de Wahoo se nomme Pah ; on laisse tomber l’ancre à quatre encâblures de la ville et à deux de la chaîne de brisants dont je vous ai parlé.

Les pointes en forme de croissant de Liahi et de Laïloa ne garantissent que faiblement la baie des vents les plus fréquents dans ces contrées intertropicales ; mais comme la sortie est facile, comme l’entrée du port l’est également, le mouillage de Wahoo sera toujours regardé comme le plus attrayant de tout l’archipel.

Par suite de l’apathie qui fait le fond du caractère sandwichien, on doit s’attendre à trouver à Wahoo une grande partie du sol inculte et d’un rapport à peu près nul. Ainsi en est-il. Peu de cultures, des plantations négligées, des champs abandonnés à la générosité seule de la terre, point de limites d’une propriété à l’autre, point de lois protectrices