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Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.2.djvu/222

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souvenirs d’un aveugle.

bonne foi des trafiquants puisse être contestée ; il n’en est point ainsi. Dans les amusements comme dans le négoce, on joue cartes sur table ; le filou serait puni par une réprobation générale, de sorte qu’il est exactement vrai de dire que tout bénéfice est une récompense plus encore qu’un bonheur. On croirait que les Carolines se réfléchissent sur les Sandwich.

Apprenez un tour de passe-passe à un habitant d’Anourourou, il vous offrira, un instant après, quelque objet en échange de votre complaisance ; et si vous refusez par générosité, faites-lui bien comprendre que ce n’est ni par dédain, ni parce que ce que l’on vous offre est trop mesquin, car on aurait des injures et de la colère à vous jeter à la face. Après notre pénible ascension au volcan, Gaudichaud et moi nous offrîmes plusieurs bagatelles à ceux des naturels qui nous avaient, dans notre trajet, hissés, pour ainsi dire, sur leurs épaules. Tous refusèrent avec dignité, disant que le service ne valait pas une récompense, et que plus tard peut-être ils se rendraient dignes de recevoir quelque chose. Un seul d’entre eux, nous ayant tendu la main, reçut un petit couteau et deux hameçons ; mais ses camarades s’en étant aperçus, ils forcèrent le mendiant à une prompte restitution, et lui refusèrent la permission de nous accompagner jusqu’au port. C’est à l’aide des petits détails qu’on parvient à bien se rendre compte de la physionomie morale des hommes.

Aux châtiments publics ordonnés par les lois, il n’y a jamais foule à Anourourou, et Marini m’a assuré que, quoique en plein jour et au milieu d’une place publique, le coupable subissait parfois sa peine sans un seul spectateur pour le flétrir ou l’encourager de sa présence.

Les bois de construction qu’on trouve dans l’intérieur de tout l’archipel sont d’une qualité supérieure, et la plupart sont précieux pour la mâture. Les Américains de Wahoo le savent bien, ainsi que les Anglais d’Owhyée et d’Atoïaï, car ils font payer cher aux navires entamés par avaries, les réparations qui leur sont nécessaires.

Quant aux bois de teinture, le commerce en est infiniment négligé, et les insulaires ne s’en servent que pour les bizarres bariolages des étoffes et les couches dont ils prétendent embellir leurs ignobles idoles.

Je ne sais si les petits oiseaux dont les plumes rouges servaient à parer les chefs de Tamahama ont émigré en d’autres climats, ou si la guerre qu’on leur a faite les a rendus plus rares ou plus sauvages ; toujours est-il qu’on ne voit presque plus de ces magnifiques vêtements dans tout l’archipel, et qu’on les vend maintenant fort cher aux étrangers. Jadis les manteaux, les casse-tête, les éventails, les casques, les étoffes de palma-christi, étaient de véritables objets de commerce, qui valaient aux naturels de la poudre, des fusils, des canons, des sabres, et beaucoup de bagatelles et curiosités européennes ; aujourd’hui les musées sont trop bien approvisionnés de ces curieux ornements et armes, pour que nous atta-