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Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.2.djvu/358

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souvenirs d’un aveugle.

traindre par la peur, et vous les verrez venir à vous comme des troupeaux soumis. La menace ne dompte que pour un temps ; la persuasion est une puissance éternelle.

Ce qui a tué la plus sainte et la plus douce des religions dans toutes les parties du globe, c’est la violence. Ne me parlez pas, dans de trop rares exceptions, d’un jeune prédicateur. L’intolérance et le fanatisme l’escortent dans presque toutes ses missions ; il ne veut pas, lui, des triomphes obtenus par la patience ; il se hâte d’en finir avec ses travaux apostoliques, car il n’a point encore passé par les épreuves d’une vie lente et pénible ; il s’irrite contre toute résistance, il s’indigne de tout obstacle, et la colère s’échappe dangereuse de toute poitrine qui veut et qui a la force pour appuyer sa volonté. Croyez-moi ; la jeunesse est peu propre aux prédications religieuses ; elle n’a pas assez de foi pour s’aider de la charité, et il faut avoir déjà souffert pour comprendre la douleur.

Nous avons trouvé à Bourbon un jeune évêque in partibus en route pour la Chine et le Japon, où il allait, disait-il, faire briller le flambeau de la vérité chez les cannibales de ces deux immenses empires.

— Mais, lui répliquai-je, il n’y a pas de cannibales en Chine ; il n’y en a pas dans le Japon.

— Que sont donc, je vous prie, ces peuples qui ne croient pas en Jésus-Christ ?

— Ils sont Japonais et Chinois.

— Vous voyez donc bien que j’ai raison.

— Je vois tout le contraire, monseigneur.

— Au surplus, monsieur, ma mission est de convertir, et, si je rends une seule âme au Dieu des chrétiens, je suis payé de toutes mes peines.

— Il me semble qu’on peut espérer un plus beau résultat avec de la patience.

— La patience est sans efficacité, monsieur ; la patience, c’est la faiblesse.

— Les apôtres avaient une autre morale, ce me semble.

— Les temps ne sont plus les mêmes autrefois on ne croyait point parce que la vérité n’avait pas encore brillé ; aujourd’hui, qui ne croit pas est impie, car le catholicisme parle assez haut pour être entendu de tous.

— Avec cette résolution si bien arrêtée, monseigneur, vous avez à craindre le martyre.

— Ce qu’un autre craindrait, moi je le souhaite.

Les vœux de l’évêque furent exaucés, et, peu de jours après son arrivée à Macao, sa tête, enfermée dans une cage de fer, était hissée au haut d’un mât sur une place publique.

Chaque époque a été marquée par la couleur de ses prédications. Les