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Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.2.djvu/364

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souvenirs d’un aveugle.

tives et aux persécutions des missionnaires, et il est douloureux d’avoir à constater que ce sont les peuples les plus doux, les plus généreux, les plus bienfaisants du monde.

Puissent les Carolins vivre éternellement dans la religion qu’ils se sont créée ! le culte de l’humanité ne peut déplaire au dieu de l’univers. Voilà déjà pourtant bien des dogmes sur cette planète si étroite, si imperceptible qu’elle compte à peine parmi les globes jetés dans l’immensité ; voilà bien des systèmes se donnant tous des démentis positifs, se combattant, se détruisant les uns les autres, et au milieu desquels chaque disciple se croit seul bien éclairé par sa raison et sagement inspiré de Dieu.

Et toutefois il y en a mille autres encore plus irrationnels, plus en contradiction, si c’est possible, et dont je ne veux pas vous parler.

Voyez les Kamstchadales, qui ont, dit-on, un dieu différent pour chaque village, peut-être un dieu distinct pour chaque hutte.

Voyez les Tchutskis, qui adorent aujourd’hui l’idole qu’ils renverseront demain.

Voyez les Patagons, s’inclinant devant les déserts qu’ils habitent et sillonnent, et se fabriquant un dieu à l’aide de celui qu’ils avaient d’abord et de celui des chrétiens qu’il retrouvent dans les établissements européens où ils viennent apporter les peaux des jaguars vaincus dans des luttes ardentes.

Voyez les Lapons, accroupis devant leurs fétiches ; les Indous, tournoyant dans leurs immenses pagodes.

Et l’intérieur de l’Afrique, avec ses divers dieux bariolés de rouge et de noir, de vices et de vertus.

Et le centre des deux Amériques, beaucoup plus connu, où les massacres ont été sans puissance contre les croyances d’une religion primitive.

Et les Nouveaux-Zélandais, à qui l’on ne connaît point de dieu.

Et les naturels de la Nouvelle-Galles-du-Sud et de la presqu’île Péron, qui à coup sûr n’en ont pas.

Oh ! tout cela est effrayant pour celui qui se prétend éclairé seul dans la vraie route au sein de si profondes ténèbres.

Cela est pourtant bien bizarre que les hommes fassent des dieux pour les adorer plus tard. Ils sont créateurs, et puis ils se disent enfants de leur créature !

Qu’est-ce qu’on appelle raison humaine ?

Hélas ! que me répondriez-vous encore si je vous rappelais tous ces combats à outrance, toutes ces guerres si sanglantes dont l’Europe civilisée a toujours été le théâtre pour défendre ou anéantir telle ou telle religion ? Ici l’on croit tout à fait, là on croit un peu, autre part on croit moins ; l’un veut un dieu avec tel pouvoir ou telle forme, l’autre pré-