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Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.2.djvu/417

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voyage autour du monde.

— Non.

— As-tu entendu ?

— Non.

— Ils disent que c’est une rivière.

— Ils disent ce qu’ils veulent. Ce n’est pas naviguer, ça ; ce n’est pas courir la mer. L’eau, le ciel, le feu, la terre, qui font cause commune pour nous enfoncer. Tiens, ça est injuste, ça est lâche ; on ne se met pus ainsi cinq ou six contre un ; nous ne sommes pas de calibre à résister : notre carcasse y restera.

— Je suis moulu.

— Et moi brisé.

— Et pas une goutte de vin dans le coffre de M. Arago !

— C’est vrai, pas une seule.

— Ah ! ah ! voici un canot ! il apporte des vivres ! du pain !

— Du pain ! quel bonheur ! ô mon Dieu ! du pain ! Dieu ! que la navigation est une belle chose !

— Du pain !

— Du pain !

Une heure après, huit matelots se tordaient sur le pont, torturés par une indigestion de pain, qu’ils n’avaient point avalé avec assez de sagesse.

Je mangeai du pain aussi, moi, du pain seul. Je n’ai fait de ma vie un plus délicieux repas.