Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome I (2e éd).djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

p. 41

des premiers chefs des armées, on assigna des bénéfices et des possessions héréditaires au roi Clovis et aux rois suivants, d’où est venu leur domaine ; et peu à peu les rois, qui ne pouvaient disposer d’un bijou pris sur l’ennemi, disposèrent des terres conquises qu’ils donnèrent sous le titre de bénéfices en viager. Ces bénéfices étaient une soustraction de leur domaine, qui y rentrait à la mort des tenanciers.

Pouvoir des rois.

On voit donc quelle était la condition des rois de France de la première race ; ne point agir sans la nation, faire la paix, la guerre et les lois de concert avec elle ; ne pas lever des impôts sans son consentement, risquer d’être déposés en ne gouvernant point avec justice, se voir enlever la couronne plusieurs fois pendant deux siècles, et la voir enfin passer de la maison de Clovis à celle de Pépin.

Ainsi les rois n’étaient guère que de simples capitaines, ou des chefs d’une armée ; mais ce chef avait en cette qualité le pouvoir le plus absolu, si nécessaire à la police d’une troupe de gens armés qui avait conçu le plan d’une conquête, et ce chef, qui ne pouvait pas disposer d’une coupe volée, avait le pouvoir de couper la tête au soldat quand il manquait à la discipline. Ainsi, quoique maître absolu comme chef d’une armée, et se trouvant réprimé de tous côtés par le pouvoir national quand il s’agissait du civil, il était à la fois le monarque le plus puissant pendans la paix, et le plus absolu quand il s’agissait de conquêtes et qu’il était en action ; mais il était absolu pour régir cette armée, et non pour envahir pour lui-même, puisque le partage n’était pas même l’adjudication, mais une distribution simple, et par la voie du sort, de la chose conquise.

C’est donc à l’anecdote du vase de Soissons que commence véritablement notre histoire ; et comme l’objet de l’histoire romaine est de dépeindre comment une horde de bandits se civilisa, conquit ses voisins, et s’étendit dans tout l’univers qu’elle subjugua, de même l’histoire de France n’a d’autre objet et d’autre but que de montrer comment le conseil du premier capitaine des Francs parvint petit à petit à s’emparer du pouvoir national, à soumettre les Francs au joug, à l’esclavage, et à trafiquer des propriétés, de la liberté et des privilèges du peuple le plus aimable et le plus digne d’un bon gouvernement.

Marche inverse du pouvoir royal en France et en Angleterre.

Ces progrès du pouvoir ministériel en France ont été dans un ordre inverse et contraire de ceux de la nation anglaise, qui, conquise d’abord et soumise à des despotes, même à des tyrans, n’a reconquis la liberté qu’à la longue et dans les derniers temps, tandis que la France, libre au commencement, n’a senti le poids du pouvoir absolu que dans ces derniers siècles.

Cet ordre inverse de la tyrannie des Anglais, qui se métamorphose petit à petit en liberté, et de la liberté française, qui dégénère en despotisme, demanderait ici de profondes spéculations pour en analyser les causes.

Nous observerons seulement que la marche du peuple anglais, devenu fier et libre, ressemble assez à celle du peuple français dans les siècles de liberté.

Si l’Angleterre a fait couper la tête à son roi, si elle a chassé des souverains dont elle était mécontente, les Français, dans leurs âges libres, assemblés en diète nationale, ont condamné au supplice cette infâme Brunehaut, qui était justement devenue l’objet de leur haine.

Ils ont précipité les Mérovingiens et les Carlovingiens d’un trône sur lequel la France les avait élevés.

Ainsi la France et l’Angleterre, dans leurs siècles de liberté, ont chassé les races de leurs souverains et ôté la vie à ceux de leurs rois dont le gouvernement leur a déplu, avec cette différence, que les Français, comme autrefois les Romains, ont chassé une race de rois qu’ils avaient élus, tandis que les Anglais, en expulsant la race des Stuarts, n’ont privé cette maison que d’un simple droit d’héritage sur le trône d’Angleterre.

En Angleterre, Charles Ier fut mis à mort par ses propres sujets. Le supplice, au contraire, de Brunehaut, déterminé par l’assemblée nationale, fut exécuté par les soins de Clotaire.

Si la France a soupiré sous le règne de Louis XVI après sa liberté et après ses droits que le roi avait déclaré vouloir lui restituer, ce n’est point contre sa personne sacrée que se tramait cette vaste conspiration dirigée par la philosophie. Il était personnellement aimé, et l’on peut dire adoré. Les insurrections qui éclatèrent depuis 1785 n’eurent jamais le roi pour objet. La France paraissait ne vouloir s’élever que contre le pouvoir usurpé par des ambitieux qui environnaient le trône.

Dans toutes les plaintes qui lui étaient adressées, on remarquait le vœu de la nation de devenir le conseil et comme le premier ministre du roi. On ne se rappelait que le moment où, comme sous Louis XII, tous les Français réunis lèveraient les mains vers lui, et le déclareraient, non-seulement le Père de la patrie, mais le Restaurateur de la France.

Ce titre lui était promis ou donné de toutes parts, et il annonçait qu’à cette époque la France ne soupirait qu’après la réforme des principaux abus et à un gouvernement mitigé. On croyait même encore la royauté nécessaire au bonheur de l’État.