Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII.djvu/363

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Art. 22. Les hommes étant égaux par nature, la différence des places et celle des moyens ou des forces ne peuvent jamais introduire aucune différence dans leurs droits. Tout privilège est donc un désordre ; les droits, les mêmes pour tous, ne peuvent être enlevés à aucun homme, si ce n’est en punition de ses crimes ou de ses attentats sur les droits d’autrui ; et la peine des mêmes crimes doit être la même, contre tous les membres de la société, sans aucune distinction.

Art. 23. Tous les hommes ont un droit égal de remplir les fonctions et les offices établis dans le corps politique, selon leurs talents et leur capacité.

Art. 24. Aucun art ni aucune profession établis dans l’Etat ne peuvent être réputés vils et dérogeants.

Art. 25. Les droits des hommes, tenant à leur nature, sont inaliénables et imprescriptibles. Aucun homme ni aucun peuple n’ont jamais voulu, ni pu vouloir abandonner ces droits pour eux-mêmes, et moins encore pour la postérité, soit à un homme, soit à un corps. Tout corps politique, dans lequel ces droits sont en péril, quelle que soit sa forme, et quelque temps qu’il ait duré, est un brigandage, et non pas un gouvernement.

Art. 26. Il n’y a de gouvernement légitime, de quelque nature qu’il puisse être, que celui où non-seulement les droits des hommes sont respectés de fait, mais encore où aucun homme, aucun dépositaire du pouvoir exécutif, ne peuvent les violer impunément.

Art. 27. Il peut y avoir de bons administrateurs dans un mauvais gouvernement ; mais le caractère distinctif d’un bon gouvernement, c’est d’empêcher que les mauvais administrateurs eux-mêmes ne puissent violer les droits des hommes.

Art. 28. En toute société politique, ainsi que dans chaque homme, il y a une volonté et une action. L’action est dirigée par la volonté : ainsi la volonté générale, qui est la puissance législative, doit régir l’action du gouvernement, ou la force exécutrice.

Art. 29. La distribution et l’organisation, tant de la puissance législative que de la force exécutrice, régulièrement ordonnée dans ses divers départements, est ce que l’on appelle la constitution de l’État.

Art. 30. La constitution est bonne, si les pouvoirs sont tellement organisés, qu’ils ne puissent ni se confondre ni usurper l’un sur l’autre, et si la force exécutrice est tout à la fois assez grande, pour que rien ne puisse arrêter son action légitime, et assez subordonnée à la puissance législative, pour que les agents du chef suprême ne puissent pas violer impunément les lois.

Art. 31. La constitution est différente de la législation. La première détermine également l’exercice de la puissance législative, et celui de la force exécutrice. La seconde n’est que la principale branche de la constitution. La constitution ne peut être fixée, changée, ou modifiée, que par le pouvoir constituant, c’est-à-dire par la nation elle-même, ou par le corps des représentants qu’elle en a chargés par un mandat spécial. La législation est exercée par le pouvoir constitué, c’est-à-dire par les députés que la nation nomme dans les temps, et selon les formes que la constitution a fixés.


Projet de déclaration des droits de l’homme et du citoyen, présenté au comité de constitution, par M. Mounier.


Nous, les représentants de la nation française, convoqués par le Roi, réunis en Assemblée nationale en vertu des pouvoirs qui nous ont été confiés par les citoyens de toutes les classes, chargés par eux spécialement de fixer la constitution de la France, et d’assurer la félicité publique, déclarons et établissons, par l’autorité de nos commettants, comme constitution de l’Empire français, les maximes et règles fondamentales et la forme de gouvernement telles qu’elles seront ci-après exprimées.

Art. 1er. La nature a fait les hommes libres et égaux en droits. Les distinctions sociales doivent donc être fondées sur l’utilité commune.

Art. 2. Tout gouvernement doit avoir pour but la félicité générale. Il existe pour l’intérêt de ceux qui sont gouvernés, et non de ceux qui gouvernent.

Art. 3. Le principe de toute souveraineté réside dans la nation : nul corps, nul individu ne peut avoir d’autorité qui n’en émane expressément.

Art. 4. Le gouvernement doit protéger les droits et prescrire les devoirs. Il ne doit mettre au libre exercice des facultés humaines d’autres limites que celles qui sont évidemment nécessaires pour le bonheur public. Il doit surtout garantir les droits imprescriptibles qui appartiennent à tous les hommes, tels que la liberté, la propriété, la sûreté, le soin de son honneur et de sa vie, la libre communication de ses pensées, la résistance à l’oppression.

Art. 5. C’est par des lois claires, précises et uniformes, que les droits doivent être protégés, les devoirs tracés, et les actions nuisibles punies.

Art. 6. Les lois ne peuvent être établies sans le consentement des citoyens ou de leurs représentants librement élus ; et c’est dans ce sens que la loi doit être l’expression de la volonté générale.

Art. 7. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Art. 8. Jamais la loi ne peut être invoquée pour des faits antérieurs à sa publication ; et si elle était rendue pour déterminer le jugement de ces faits antérieurs, elle serait oppressive et tyrannique.

Art. 9. Pour prévenir le despotisme et assurer l’empire de la loi, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire doivent être distincts, et ne peuvent être réunis.

Art. 10. Tous les individus doivent pouvoir recourir aux lois, et y trouver de prompts secours, pour tous les torts et injures qu’ils auraient soufferts dans leurs biens, dans leur personne ou dans leur honneur, ou pour les obstacles qu’ils éprouveraient dans l’exercice de leur liberté.

Art. 11. Nul ne peut être arrêté ou emprisonné qu’en vertu de la loi, avec les formes qu’elle a prescrites, et dans les cas qu’elle a prévus.

Art. 12. Les peines ne doivent point être arbitraires, mais déterminées par les lois, elles doivent être absolument semblables pour tous les citoyens, quels que soient leur rang et leur personne.

Art. 13. Chaque membre de la société, ayant droit à la protection de l’Etat, doit concourir à sa prospérité, et contribuer aux frais nécessaires dans la proportion de ses facultés et de ses biens, sans que nul puisse prétendre aucune faveur ou exemption, quel que soit son rang ou son emploi.