Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII.djvu/418

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[Assemblée nationale.

ARCHIVES PARLEMENTAIRES.

[4 août 1789 .J

3° Que fous les droits féodaux seront rachetables par les communautés, en argent ou échangés sur le prix d’une juste estimation, c’est-à-dire d’après le revenu d’une année commune, prise sur dix années de revenu ;

4° Que les corvées seigneuriales, les mains-mortes et autres servitudes personnelles seront détruites sans rachat.

A l’instant un autre député noble, M. le duc d’Aiguillon, propose d’exprimer avec plus de détail le vœu formé par le préopinant ; il le conçoit ainsi.

M. le duc d’Aiguillon. Messieurs, il n’est personne qui ne gémisse des scènes d’horreur dont la France offre le spectacle. Cette effervescence des peuples, qui a affermi la liberté lorsque des ministres coupables voulaient nous la ravir, est un obstacle à cette même liberté dans le moment présent, où les vues du gouvernement semblent s’accorder avec nos désirs pour le bonheur public.

Ce ne sont point seulement des brigands qui, à main armée, veulent s’enrichir dans le sein des calamiiés : dans plusieurs provinces, le peuple tout entier forme une espèce de ligue pour détruire les châteaux, pour ravager les terres, et surtout pour s’emparer des chartriers, où les titres des propriétés f’ odales sont en dépôt. Il cherche à secouer enfin un joug qui depuis tant de siècles pèse sur sa tête ; et il faut l’avouer, Messieurs, cette insurrection, quoique coupable (car toute agression violente l’est), peut trouver son excuse dans les vexations dont il est la victime. Les propriétaires des fiefs, des terres seigneuriales, ne sont, il faut l’avouer, que bien rarement coupables des excès dont se plaignent leurs vassaux ; mais leurs gens d’affaires sont souvent sans pitié, et le malheureux cultivateur, soumis au reste barbare des lois féodales qui subsistent encore en France, gémit de la contrainte dont il est la victime. Ces droits, on ne peut se le dissimuler, sont une propriété, et toute propriété est sacrée ; mais ils sont onéreux aux peuples, et tout le monde convient de la gêne continuelle qu’ils leur imposent.

Dans ce siècle de lumières, où la saine philosophie a repris son empire, à cette époque fortunée où, réunis pour le bonheur public, et dégagés de tout intérêt personnel, nous allons travailler à la régénération de l’Etat, il me semble, Messieurs, qu’il faudrait, avant d’établir cette constitution si décirée que la nation attend, il faudrait, dis-je, prouver à tous les citoyens que notre intention, notre vœu est d’aller âu-devant de leurs désirs, d’établir le plus promptement possible cette égalité de droits qui doit exister entre tous les hommes, et qui peut seule assurer leur liberté. Je ne doute pas que les propriétaires de fiefs, les seigneurs de terres, loin de se refuser à cette vérité, ne soient disposés à faire à la justice le sacrifice de leurs droits. Ils ont déjà renoncé à leurs privilèges, à leurs exemptions pécuniaires* et dans ce moment, on ne peut pas demander la renonciation pure et timple à leurs droits féodaux.

Ces droits sont leur propriété. Ils sont la seule fortune de plusieurs particuliers ; et l’équité défend d’exiger l’abandon d’aucune propriété sans accorder une juste indemnité au propriétaire, qui cède l’agrément de sa convenauce à l’avantage public.

D’après ces puissantes considérations, Messieurs, et pour faire sentir aux peuples que vous vous occupez efficacement de leurs plus chers intéiêts, mon vœu serait que l’Assemblée nationale déclarât que les impôts seront supportés également par tous les citoyens, en proportion de leurs facultés, et que désormais tous les droits féodaux des fiefs et terres seigneuriales seront rachetés par les vassaux de ces mêmes fiefs et terres, s’ils le désirent ; que le remboursement sera porté au denier fixé par l’Assemblée ; et j’estime, dans mon opinion, que ce doit être au denier 30, à cause de l’indemnité à accorder. C’est d’après ces principes, Messieurs, que j’ai rédigé l’arrêté suivant, que j’ai l’honneur de soumettre à votre sagesse, et que je vous prie de prendre en considération :

« L’Assemblée nationale, considérant que le premier et le plus sacré de ses devoirs est de faire céder les intérêts particuliers et personnels à l’intérêt général ;

« Que les impôts seraient beaucoup moins onéreux pour les peuples, s’ils étaient répartis également sur tous les citoyens, en raison de leurs facultés ;

« Que la justice exige que cette exacte proportion soit observée :

« Arrête que les corps, villes, communautés et individus qui ont joui jusqu’à présent de privilèges particuliers, d’exemptions personnelle ?, supporteront à l’avenir tous les subsides, toutes les charges publiques, sans aucune distinction, soit pour la quotité des impositions, soit pour la forme de leurs perceptions.

« L’Assemblée nationale, considérant en outre que les droits féodaux et seigneuriaux sont aussi une espèce de tribut onéreux, qui nuit à l’agriculture, et désole les campagnes ; « Ne pouvant se dissimuler néanmoins que ces droits sont une véritable propriété, et que toute propriété est inviolable ;

« Arrête que ces droits seront à l’avenir remboursables ^ la volonté des redevables, au denier 30, ou à tel autre denier qui, dans chaque province, sera jugé plus équitable par I’xsspmblée nationale, d’après les tarifs qui lui seront présentés.

« Ordonne enfin, l’Assemblée nationale, que tous ces droits seront exactement perçus et maintenus comme par le passé, jusqu’à leur parfait remboursement. »

Ces deux motions, présentées avec le ton du plus vif intérêt sur le sort des habitants ries campagnes, dont elles devaient adoucir les maux, calmer l’effervescence, et combler tous les vœux, ont été accueillies avec un transport de joie inexprimable.

Un des membres de l’Assemblée relève avec sensibilité combien il serait touchant pour tous les citoyens d’apprendre que les membres des communes ayant sollicité hier le zèle de l’Assemblée nationale contre les violences exercées sur les personnes et les propriétés des nobles, ceux-ci, par un retour généreux, donnaient aujourd’hui à toutes les classes du peuple français une preuve si marquée de leur patriotisme.

M. Dupont de Hemours. Un désordre universel s’est emparé de l’Etat, à raison de l’inaction de tous les agents du pouvoir ; aucune société politique ne peut exister un seul moment sans lois et sans tribunaux, pour garantir la liberté, la sûreté, des personnes, et la conservation des propriétés. J’insiste sur la nécessité de maintenir et de ne pas abandonner les lois, quoique imparfaites, qui ont pour objet la conservation de l’ordre général.