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[Assemblée nationale.]

ARCHIVES PARLEMENTAIRES.

[t septembre 1789.]

C’est ainsi, Messieurs, que, par zèle pour l’autorité du Roi on l’aurait affaiblie en en troublant la source ; et qu’entre deux manières de l’aimer, la plus sûre, la plus honorable et la plus flatteuse pour lui est d’appuyer son autorité sur des bases solides, sur des principes qui ne puissent pas être contestés. Et que ferait pour son bonheur une autorité bizarrement compliquée, une réunion de pouvoirs, les uns souverains, les autres subalternes, dont le conflit inévitable se trouverait dans sa propre main ? Voulez-vous le servir en Roi ? elle peut en déléguer partie au Roi ; et que cette délégation ainsi divisée est une chose qu’elle peut faire. Tout se réduit à savoir si l’Assemblée nationale a le pouvoir législatif, ou si la nation le garde, et doit et peut le garder ; car, si elle le garde, il ne se divise pas. Or, je prétends que la nation ne se dessaisit pas du pouvoir législatif ; et voici la série des idées que je me fais.

Toute société sent, en se formant, la nécessité de se donner des lois ; tous les font ensemble : cet ensemble fait l’unité du pouvoir législatif. Cette unité est simple et ne peut être divisée ; autrement ce ne serait plus ensemble, ce serait séparément.

Le pouvoir législatif est donc dans tous ensemble. Dès que la société est trop nombreuse, il arrive que tous ne peuvent plus se réunir enun lieu pour faire les lois. Cependant ils ne doivent ni ne peuvent abandonner le pouvoir de les faire, et ils cherchentun moyen pour faire connaître leurs vœux et pour réunir les volontés, ne pouvant plus réunir les personnes. Cependant nul ne veut ni ne doit perdre le droit de faire connaître sa volonté, car s’il le perdait, il ne serait plus de la société, il serait son sujet, ou étranger. Le moyen qu’il cherche doit donc être tel, que toutes les volontés soient manifestées.

Celui qui se présente, c’est de faire connaître leurs volontés à des mandataires, à des procureurs fondés qu’ils chargent de porter la parole pour eux. Mais il faut que ces mandataires soient chargés, sans exception, des volontés de tous, et que, par conséquent, il n’y en ait pas un qui ne manifeste la sienne. Ils forment donc des Assemblées partielles, parce qu’ils ne peuvent plus former une Assemblée générale ; chacun y exprime sa volonté ; il se forme, par la collecte des suffrages, une volonté commune, et un ou plusieurs mandataires sont chargés de la porter dans une Assemblée générale : ces mandataires sont appelés représentants.

Maintenant, ces mandataires, chargés des volontés d’autrui, les réunissent en une seule ; mais leurs volontés particulières ne sont que la Jieprésentation des volontés particulières, et leur volonté générale n’est que la représentation de la volonté générale ; les mandataires représentent les volontés par leur dire, comme ils représentent les citoyens par leurs personnes. Ils représentent tout, et ne se substituent en rien. Ce ne sont donc pas réellement les représentants qui font la loi, c’est le peuple dont les représentants ne sont que l’organe ; donc c’est lui qui a le pouvoir législatif, et l’Assemblée générale ne l’a pas. Donc le pouvoir législatif est resté un et simple, il n’a point été divisé : et comment cela se pourrait-il, puisque le pouvoir législatif est un droit, et un droit primitif ? Une chose primitive ne peut pas être divisée ; car, ou elle aurait été divisée primitivement, et ce seraient deux choses différantes, ou elle l’aurait été postérieurement, et la dernière portion ne serait qu’une émanation, une délégation.

Si l’Assemblée nationale n’a pas le pouvoir législatif son pouvoir secondaire n’en est que la représentation ; et tout ce qui reste à me dire, c’est que la nation peut fort bien confier au Roi une partie de sa représentation. Mais on ne voit pas ici combien on abaisse le Roi, ou comment on l’élève trop haut. En effet, ou le représentant doit rendre compte, ou il ne le doit pas. S’il doit rendre compte, c’est un simple mandataire révocable et responsable, et cette responsabilité détruit l’inviolabilité sacrée du Roi, sa grande et précieuse prélogative qu’il est indispensable de lui conserver. Si le représentant permanent de la nation ne doit pas lui Déclarez qu’il est l’exécuteur suprême et unique des volontés de la nation : c’est là son droit ; et certes qu’ya-t-il de plus grand, quelle plus haute destinée pour un mortel que de recueillir la volonté générale, de se mettre à la tête des lois, et d’exécuter seul, au milieu du silence respectueux de tous, ces lois auxquelles ils obéiront d’autant mieux qu’ils les auront eux-mêmes établies ? Ce oui relève, à mes yeux, la grandeur du Roi, c’est I inviolabilité de sa personne sacrée ; et sa personne est inviolable, parce qu’elle est infaillible. Oui, infaillible, c’est le mot propre. Le Roi ne doit rendre compte de ses mandats, la nation abandonne ses volontés pour les soumettre à la sienne ; il stipule pour elle à son gré, il n’est pas son représentant, il est son maître, il est despote.

Le Roi devrait donc refuser ce titre de représentant, qu’on ne lui a jamais donné. Si c’est pour rendre compte, il doit refuser ; car il ne serait qu’un simple citoyen : si c’est pour ne pas rendre compte, il doit refuser, car ce serait la plus grande imprudence à un seul homme de vouloir stipuler arbitrairement pour tous. J’espère qu’on ne me dira pas que ces raisonnements sont subtils. Quand on a à démontrer un principe extrêmement simple, les arguments sont nécessairement déliés, et il faut une certaine fixité dans l’esprit qui les suit, pour qu’ils ne lui échappent pas. Mais la subtilité garde bien d’aller au principe, elle l’évite, elle fuit, elle cherche des évasions pour détourner l’attention et donner le change. Il me semble que j’ai fait tout le contraire.

J’ai besoin de me soulager encore le cœur d’une observation.

J’entends dire quelquefois qu’on ne fait pas les lois avec des raisonnements métaphysiques . c’est comme si l’on disait qu’il ne faut pas raisonner sur les principes. Je soutiens au contraire qu’il n’y a pas d’autre moyen pour faire de bonnes lois que de remonter au principe des lois ; et si ces principes sont nécessairement abstraits, il faut bien, malgré qu’on en ait, en raisonner d’une manière abstraite.

Je soutiens qu’il n’y a aucune science qui n’ait ses principes, la politique comme les autres ; et qu’on fera toujours des fautes dangereuses et grossières quand on s’écartera des principes nécessaires dont dépend la législation.

Je soutiens que les erreurs politiques sont nécessairement funestes à quelqu’un ; et qu’elles le sont toujours à celui ou à ceux en faveur de qui elles ont été soutenues. Les erreurs en fait de privilèges ont été funestes aux privilégiés ; les erreurs favorables à la tyrannie ont été funestes aux tyrans ; les erreurs en faveur de l’usurpation ont été funestes aux usurpateurs ; tant il est vrai que l’on trompe et que l’on perd tôt ou tard celui ou ceux que l’on veut favoriser aux dépens des règles souveraines et primitives de justice ! N’ayons donc plus la faiblesse de n’oser regarder un principe en face, et de nous amuser à calomnier les conséquences. Si ce principe est une vérité, toutes ses conséquences seront des vérités ; et physiquement et moralement, et dans tous les sens, il est impossible que ces vérités ne soient bonnes, utiles, et qu’il ne faille les adopter. 11 est impossible en même temps que les idées contraires soient fausses, mauvaises et nuisibles, et qu’il ne faille les rejeter.

Je sais bien qu’en politique, il faut calculer avec les passions qui dérangent quelquefois les plus saçes raisonnements. Mais ce qu’il faut bien observer, c est que les passions humaines n’ont jamais plus beau jeu que dans un pays où les principes sont méconnus, car qui pourrait les arrêter ? L’intérêt personnel est la passion primitive d’où découlent toutes les autres : c’est lui qui tend sans cesse à déplacer les hommes et les choses pour l’avantage particulier des perturbateurs. Mais jamais l’intérêt personnel n’est plus puissant et plus multiplié que lorsque l’intérêt public ne domine pas ; celui-ci doit dominer avec un tel empire, que tous les intérêts particuliers se taisent devant lui ; et il n’aura cette domination toute-puissante que lorsque les principes seront établis dans toute leur pureté et leur rigidité.