Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII.djvu/712

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

638

[Asseûiblée nationale.

ARCHIVES PARLEMENTAIRES.

(14 septembre 1789.]

puisque c’est un mot vide de sens ; et je ne crains pas de dire qu’il ne peut plus désormais être mis en action que par ceux-là mêmes qui en abusent dans le discours.

Quant à l’autorité royale, je l’ai déjà dit, et je répète, que si les vertus du Roi peuvent me la rendre chère, c’est l’intérêt du peuple qui me la rend sacrée. Je puis dire encore qu’autant je respecte cette autorité dans son exercice légitime, autant j’en ai combattu les excès et les abus, et j’en prends à témoin, sinon l’Assemblée, entière, du moins une grande partie de l’Assemblée qui m’a entendu sur cet objet dans un autre lieu et à une autre époque ; car j’ai toujours eu pour principe d’avoir des avis aussi forts, quand on me plaçait en deçà delà liberté, que modérés quand ou voulait m’empoi ter au delà.

Mais je demanderai si c’est de bonne foi qu’on peut craindre aujourd’hui les excès et les abus de l’autorité royale ? Où est le despote ? Où sont les suppôts du despotisme ? Où est l’armée ? Où sont mêmeles courtisans ? Les flatteurs aujourd’buisont ceux qui médisent de l’autorité royale. Ali ! loin d’en craindre les excès, craigne/ plutôt de ne pouvoir pas de longtemps, même avec toute votre volonté, rendre au pouvoir exécutif la vie qu’il doit avoir. Portez vos regards autour de vous ; portez-les au loin : voyez partout l’interruption des revenus publics, là cessation de toute justice, la disette au milieu de l’abondance, le despotisme au sein de l’anarchie, et craignez, si vous perdez encore des instants aussi précieux, de ne pouvoir plus retrouver cette unité d’action, ce centre de forces, qui seuls, dans un empire aussi vaste, peuvent tenir toutes les parties liées entre elles et maintenir la stabilité du grand ensemble. M. le comte de ^ irieu. On a fait une observation importante sur l’ordre du jour. L’on devait examiner la question de savoir pendant combien de législatures le veto serait suspensif. Cet ordre du jour, on propose de l’interrompre pour une question que l’anté-préopinant lui-même a dit être jugée.

Par qui avons -nous été convoqués ? C’est par le Roi ; c’est vers lui que nous avons été envoyés. Sa puissance existait donc alors, et pourquoi n’existerait-elle pas aujourd’hui ? Elle existait avant la nôtre.

M. Maraudât. Le pouvoir de la nation existait avant celui du Roi.

M. de Virieu. Nos commettants nous ont ordonné de respecter cette puissance. Nos cahiers sur ce point sont uniformes, et il a été déclaré qu’on ne pouvait s’en écarter, au moins sur les bases fondamentales.

Il est écrit dans le cœur de tous les Français : Je suis libre ; et cela vaut bien des cahiers qui ont été écrits sous la verge du despotisme. Depuis que nous les traitons, ces points fondamentaux, il y a eu différents changements dans l’ordre de ladiscussion.il y en aurait bien moins sans les entêtés et les gens engoués de privilèges.

Mais nous sommes revenus à cette question : combien d’années le Roi suspendra-t-il la loi proposée par une législature ? Aujourd’hui, on propose un nouvel ordre : on dit qu’il faut que les arrêtés soient sanctionnés avant l’établissement de la prérogative royale.

Je me bornerai à une seule proposition. Le pouvoir souverain n’a jamais changé, le Roi n’est pas moins puissant qu’il ne l’a été, et la nation n’est pas plus qu’elle ne doit être. Si cette proposition est vraie, il est inutile de nous arrêter à la question que l’on nous propose.

Si la question est avouée, le principe est faux : le Uoi ne doit pas être si puissant qu’il était ; il ne doit pasôlre despote ; il l’était dans le l’ail. Maintenant l’on nous offre les arrêtés comme, émanés du pouvoir constituant, mais en ce cas il faut faire le dépouillement de tous les actes qui devront être soumis à la sanction royale, et distinguer ceux du pouvoir constituant du pouvoir législatif.

On parle de calme ; on dit que le peuple en a besoin ; le moyen de le ramener, c’est de consolider le pouvoir du monarque. Il est le premier après le pouvoir législatif.

Je demande si, dans un moment où tous les pouvoirs sont anéantis, nos premiers travaux ne doivent pas être pour fixer les prérogatives du Roi. C’est là le moyen de rappeler le calme, de faire rendre la paix : ces droits sont dans nos cœurs, dans nos cahiers ; il faut les énoncer, et si quelqu’un s’y oppose il n’a qu’à se lever ; qu’il se fasse connaître comme s’opposant aux travaux de l’Assemblée. On accumule les retards, les longueurs.

Il est temps de mettre un terme à nos lenteurs. Je demande que l’on passe à l’ordre du jour, et que l’on décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer quant à présent.

Un membre des communes réfute M. de Virieu, en lui opposant une lettre de l’un des agents du clergé.

Cette lettre est à peu près conçue ainsi : « Je vous prie de donner un état de vos biens ; car l’Assemblée nationale va un train que personne ne peut suivre, etc. »

L’orateur, après quelques réflexions, finit par dire que le clergé ne la désavouera pas. Il en tire la conséquence que l’Assemblée nationale, du moins selon l’opinion de tous les individus, ne va pas si lentement dans les opérations. M. l’abbé de Montesquiou, sur qui portait le reproche de cette lettre, en sa qualité a 1 agent du clergé et comme auteur de la lettre, se justifie. Il prétend .qu’il a demandé seulement l’état des biens de l’Église ; que quant à son avis, il ne l’a nullement manifesté ; qu’il croit que 1 , quant aux dîmes, la nation a fait une mauvaise opération en finance ; mais que ce n’est pas l’offenser, que ce n’est pas de la part de l’Assemblée une erreur, mais un calcul fautif ; qu’elle a cru le clergé plus riche qu’il ne l’est ; qu’au .surplus, en demandant l’état des biens de l’Église, il n’a fait que céder aux sollicitations du comité ecclésiastique ; que le mut de blâme ne peut entrer dans la tête d’un membre de la nation ; et que s’il avait eu l’imprudence de le penser, il n’aurait pas été. assez sot pour le dire, et surtout pour l’écrire. J’aurais pu, ajoute-t-il, me plaindre du secret violé ; mais ma délicatesse me commande le silence sur un reproche pareil.

On revient à la question déjà jugée. M. Rewbell. D.’s demain, les arrêtés seront sanctionnés ou ne le seront pas ; s’il ne le sont pas, il sera encore temps de délibérer sur la motion de M. Barnave, car la question de la durée du pouvoir suspensif conduira au moins jusqu’à demain avant sa décision.