Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 1.djvu/142

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sûreté à la liberté des masses et à l’égalité de tous avec les blancs.

Mais, Ogé, qui avait vu en France des hommes généreux, éclairés, puissans sur l’opinion publique, compatir sincèrement au sort des mulâtres et des nègres et publier de nombreux écrits en leur faveur, où ils exposaient la justice des réclamations des hommes de couleur, la nécessité de l’abolition de la traite des noirs pour parvenir graduellement, sans secousse, sans troubles, à la liberté générale des esclaves ; Ogé, qui savait qu’en Angleterre, des hommes non moins généreux s’efforçaient de produire de semblables résultats ; Ogé ne pouvait pas, ou plutôt ne croyait pas pouvoir adopter les vues révolutionnaires de son compagnon. Cette considération doit grandement l’excuser aux yeux de la postérité.

D’autres motifs venaient à l’appui de la promesse que peut-être il avait faite aux Amis des noirs. Il n’ignorait pas que les hommes de couleur étaient en nombre égal à la population blanche, plus aptes à supporter les fatigues d’une guerre, s’il fallait la subir ; et il croyait peut-être pouvoir renouveler avec eux les merveilles que l’amour de la liberté avait opérées en France contre les privilégiés[1]. Mais, depuis son départ pour l’Europe, la tyrannie des blancs contre les hommes de couleur avait tellement augmenté, ils prenaient de telles précautions pour se préserver des entreprises de cette classe, qu’elle était contrainte à une grande prudence.

Chavanne avait donc raison : il fallait, dans cette

  1. Rapport de Garran, tome 2, page 46.