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pouvoir occuper les places d’officiers, ni se mêler dans les compagnies de blancs : cette classe d’hommes sortis des entrailles des malheureux esclaves avait un intérêt puissant à se rapprocher de ces derniers, à s’unir avec eux pour briser le joug colonial. La politique devait leur commander cette marche, alors même que les liens de parenté ne leur en faisaient pas un devoir moral, en dominant en eux l’intérêt de la propriété.

2o Enfin, les nègres et mulâtres esclaves, courbés sous le joug des maîtres de toutes couleurs, privés de tous les droits que la nature a départis à l’espèce humaine, formaient la grande majorité de la population.

On comptait à Saint-Domingue, en 1789, environ 40,000 blancs, au moins 40,000 affranchis, et plus de 600,000 esclaves. Mais les états de recensemens dissimulaient toujours la force numérique des deux dernières classes[1].

Telle était enfin la composition de ce singulier ordre social, au moment où la philosophie du xviiie siècle vint éclairer le peuple français et le porter à secouer le joug du pouvoir absolu en Europe.

On conçoit facilement quel retentissement cette révolution opérée en France, par la prise de la Bastille, dut avoir dans sa riche colonie de Saint-Domingue. Là, comme dans la mère-patrie, toutes les classes de la société souffraient plus ou moins du régime absolu, chacune à son point de vue : politiquement parlant, chacune avait ses justes prétentions à un sort meilleur ; la race noire surtout devait ardemment désirer un changement dans

  1. « Suivant une lettre du marquis de la Feuillade aux États-Généraux, la population des hommes de couleur est même portée à 40,000. » (Note du Rap. de Garran, t. 1er, p. 18.)