Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 2.djvu/208

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l’esclavage ! vous voulez être au niveau des anciens libres, et vous voulez conserver à jamais les monumens de votre origine servile ! Ayez donc enfin un républicanisme pur : osez vous élever à la hauteur des droits de l’homme. Songez que le principe de l’égalité n’est pas le seul ; que celui de la liberté marche avant lui. C’est bien assez, c’est beaucoup trop que les intérêts malentendus de la culture coloniale nous aient forcés, jusqu’à présent, de composer avec les premières lois de la nature ; que la crainte des excès que pourrait commettre une peuplade encore brute, nous force d’attendre que la civilisation soit commencée avant de la déclarer libre : ne lui laissez pas du moins le temps de sentir sa force et de déclarer son indépendance ; car alors tous les maîtres sont perdus !

Cette lettre judicieuse en tous points dépeint la situation de l’âme de Polvérel et de Sonthonax, au moment où ils voyaient des blancs militaires tracer l’exemple d’une lâche trahison ; car, quant aux colons, indépendans ou contre-révolutionnaires, il n’y avait rien d’étonnant qu’ils voulussent soustraire la colonie à la métropole. La crainte que les commissaires avaient de la défection des hommes de couleur était fondée par rapport à beaucoup d’entre eux, aristocrates inconséquens et ingrats, comme ils disent avec raison ; mais heureusement pour l’honneur de cette classe, ils constatent aussi que parmi eux se trouvaient des philanthropes imprudens qui voulaient l’affranchissement subit et universel des noirs : le mérite de ces derniers rachète en quelque sorte le tort des autres ; ils furent conséquens à leurs principes en faveur de la liberté et de l’égalité. Ce sont les Pinchinat les Bauvais, les Rigaud, et tant d’autres qui surent, par l’exemple de leur louable conduite, retenir la majorité des hommes de couleur dans la ligne du devoir à remplir envers leurs frères noirs, comme envers la France républicaine.