Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 2.djvu/290

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tandis que ses armées s’anéantissaient à Saint-Domingue, celles des Africains se recrutaient chaque jour par de nouvelles désertions d’ateliers. Le colon n’espérait plus que ses terres pussent jamais être remises en valeur, parce qu’il ne connaissait que la culture par les esclaves.

Les délégués de la république ont présenté aux Africains l’idée et l’espoir de la liberté générale, une certitude de bien-être pour les guerriers, et une part dans les revenus pour les cultivateurs : ce mot a suffi pour créer des soldats à la république, pour rétablir l’ordre, pour repeupler les ateliers, pour ranimer le travail. Les propriétaires étonnés de ce prodige (car c’en était un pour eux) ont donné volontairement, et à l’envi les uns des autres, la liberté aux Africains qui avaient été jusqu’alors sous leur dépendance. Ils ont prié la commission civile, d’accélérer autant qu’il lui serait possible, la déclaration de la liberté générale et la publication des règlemens que ce nouvel ordre de choses exigeait.

Oui, sans doute, il faut des règlemens nouveaux, non pas pour modifier la liberté des Africains ; car leur liberté est la même que celle de tous les autres citoyens ; elle consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. L’exercice des droits naturels de chaque homme, quelle que soit sa couleur, n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ; ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ; et cette loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.

Mais il faut des règlemens pour déterminer les conditions et la récompense du travail. Il en faut pour assurer et surveiller de toutes parts l’exécution de ces conditions.

Il faut des règlemens de police pour les cultivateurs qui vont contracter une société entre eux et se vouer à une espèce de vie commune.

Il en faut pour assurer la subsistance des vieillards et des infirmes ; celle des Africains qui n’étaient pas employés à la culture et qui n’ont aucun talent déterminé, la subsistance et l’éducation des enfans, et des indemnités de bienfaisance à ceux des ci-devant maîtres que la liberté générale laisse sans aucune espèce de ressource.

Ces matières sont trop importantes et demandent des combinaisons trop vastes et trop compliquées, pour pouvoir être l’ouvrage de peu de jours…

Cependant, les ennemis de la république profitent de ce court intervalle pour tendre des pièges à la crédulité des Africains.

Ils disent aux uns : « Vous êtes libres, vous ne devez par conséquent ni travailler, ni obéir à aucune autorité. »